La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
bon de remarquer, l’ami, que votre métier, qui peut être fort bon pour vous faire vivre dans la ville paisible de Perth, est quelque close de trop mécanique pour être fort estimé au pied de Ben Lawers et sur les bords du lac Tay. Nous n’avons pas même dans notre langue un mot qui puisse exprimer un faiseur de gants.
– Il serait fort étrange que vous en eussiez un, l’ami Niel, dit Simon d’un ton sec, puisque vous avez si peu de gants à porter. Je crois qu’on n’en trouverait pas une paire dans tout le clan de Quhele, si ce n’est celle que j’ai donnée moi-même à Gilchrist Mac Ian, à qui Dieu fasse paix, et qui la regarda comme un très beau présent. Je regrette bien vivement sa mort, car j’étais venu tout exprès pour lui parler d’affaires.
– Vous feriez mieux de tourner la tête de votre cheval du côté du sud demain matin. Les funérailles vont avoir lieu, et elles se feront avec peu de cérémonie ; car il doit y avoir un combat entre le clan de Qubele et le clan de Chattan, trente champions, de chaque côté, le dimanche des Rameaux ; or nous n’avons que bien peu de temps pour pleurer le chef mort et rendre honneur au vivant.
– Mes affaires sont si pressantes qu’il faut pourtant que je voie le jeune chef, ne fût-ce que pour un quart d’heure.
– Écoutez, l’ami ; je suppose que vos affaires sont de toucher de l’argent ou d’acheter quelques marchandises. Or si notre chef vous doit de l’argent pour l’avoir élevé ou pour toute autre chose, ce n’est pas le moment de le lui demander quand tous les trésors du clan suffiront à peine pour préparer les armes et l’équipement des combattans afin que nous puissions nous présenter en face de ces orgueilleux chats de montagnes de manière à leur montrer notre supériorité ; et si vous venez dans l’intention de trafiquer avec nous, l’instant est encore plus mal choisi. Vous savez que vous avez excité la jalousie de bien des gens parmi nous pour avoir été chargé d’élever notre jeune chef, honneur qui n’est jamais accordé qu’au plus brave du clan.
– Mais, par sainte Marie ! Niel, on devrait se souvenir que cet honneur ne m’a pas été accordé comme une faveur que je sollicitais, et que je ne l’ai accepté qu’à force de prières et d’importunités, et à mon grand préjudice : car ce Conachar, cet Hector, ou quel que soit le nom que vous lui donniez, m’a gâté des peaux de daim pour je ne saurais dire combien de livres d’Écosse.
– Nous y voilà encore ! Il y a dans ce que vous venez de dire de quoi vous coûter la vie. Toute allusion aux peaux, aux cuirs, aux daims et aux chevreuils ne peut que vous porter malheur. Notre chef est jeune et jaloux de son rang. Personne n’en connaît la raison mieux que vous, l’ami Glover. Il est naturel qu’il désire que tout ce qui peut avoir rapport aux obstacles qui ont failli l’empêcher de succéder à son père et à l’exil qu’il a subi soit entièrement oublié ; il ne verra pas de très bon œil quiconque rappellera à son souvenir et à celui de son peuple ce qu’on ne peut se rappeler qu’avec peine. Pensez comment sera regardé en ce moment le vieux Glover de Perth, dont notre chef a été si long-temps l’apprenti ! Allez, allez, mon ancien ami, vous avez mal calculé en venant ici. Vous vous êtes trop pressé d’adorer le soleil levant quand ses rayons sont encore de niveau avec l’horizon. Venez quand il se sera élevé plus haut dans le ciel, et alors vous recevrez votre part de la chaleur qu’il répandra.
– Niel Booshalloch, nous sommes d’anciens amis, comme vous le dites ; et comme je vous crois un véritable ami, je vous parlerai franchement, quoique ce que je vais vous dire pût être dangereux pour moi si je le disais à tout autre individu de votre clan. Vous croyez que je viens ici pour tâcher de tirer quelque profit de votre jeune chef, et il est naturel que vous pensiez ainsi ; mais je ne voudrais pas, à mon âge, quitter le coin de mon feu dans Curfew-Street pour venir me chauffer aux rayons du soleil le plus brillant qui a jamais lui sur les bruyères de vos montagnes. La vérité est que je suis venu ici parce que je ne pouvais mieux faire. Mes ennemis ont l’avantage sur moi, et ils m’ont accusé de choses dont je suis incapable, même en pensée. Et cependant ma vie était en danger, et il fallait me décider à fuir ou à rester pour périr. Je viens donc vers
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