La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
de l’ennemi, je bandai mon arc et je décochai mes flèches avec le même calme que si j’avais tiré au blanc et non contre des hommes. Je gagnai quelque réputation, et j’ai toujours pensé depuis ce temps, qu’en cas de nécessité, car ce n’aurait jamais été par goût et par choix, – je ne l’aurais pas perdue. Mais ce fut la seule fois que je portai les armes dans ce qu’on peut appeler une bataille. J’ai couru d’autres dangers ; j’ai tâché de les éviter en homme sage, mais quand ils étaient inévitables j’y ai fait face en homme brave : ce n’est qu’ainsi qu’on peut vivre et lever la tête en Écosse.
– Je comprends ce que vous me dites, mais vous trouverez plus difficile de croire ce que j’ai à vous dire, sachant de quelle race je suis descendu, et ayant connu celui que nous avons mis dans la tombe il n’y a pas vingt-quatre heures. – Il est heureux qu’il soit dans un lieu où il n’apprendra jamais ce que vous allez entendre. Regardez, mon père, la lumière que je porte se consume et commence à pâlir ; mais avant qu’elle expire le mot honteux sera prononcé… Mon père, je suis – UN LÂCHE ! le mot est prononcé enfin, et le secret de mon ignominie est confié à un autre.
L’angoisse du jeune homme était telle en faisant ce fatal aveu, qu’il se laissa tomber presque sans connaissance. Glover, saisi de crainte aussi bien que de compassion, mit tous ses soins à le rappeler à la vie, et y réussit, mais sans pouvoir lui rendre le calme. Eachin se couvrit le visage des deux mains, et versa un torrent de larmes amères.
– Pour l’amour de Notre-Dame ! dit le vieillard, calmez-vous, et révoquez ce vilain mot. Je vous connais mieux que vous ne vous connaissez vous-même. Vous n’êtes pas un lâche, seulement vous êtes trop jeune, vous avez trop peu d’expérience et l’imagination trop vive pour avoir la valeur ferme d’une grise barbe. Je n’entendrais pas un autre parler de vous ainsi, Conachar, sans lui donner un démenti. Je le répète, vous n’êtes pas un lâche. J’ai vu jaillir de vous de vives étincelles de courage, et souvent même pour des causes bien légères.
– De vives étincelles d’orgueil et de colère ! répliqua le malheureux jeune homme, mais quand les avez-vous vu soutenues par la résolution qui aurait dû les accompagner ? Les étincelles dont vous parlez tombaient sur mon cœur lâche comme sur un glaçon que rien ne peut échauffer. Si mon orgueil offensé me portait à frapper, ma lâcheté un instant après me forçait à fuir.
– Manque d’habitude, dit Simon. C’est en escaladant des murailles que les enfans apprennent à gravir les rochers. Commencez par de légers combats, exercez-vous tous les jours au maniement des armes en joutant contre vos amis.
– En ai-je loisir ? s’écria le jeune chef en tressaillant comme si quelque idée horrible se fût présentée à son imagination. Combien de jours reste-t-il à s’écouler entre celui-ci et le dimanche des Rameaux ? Et que doit-il arriver alors ? Une lice fermée d’où l’on ne peut pas plus sortir que le pauvre ours enchaîné au poteau. Soixante hommes, les plus braves, les plus déterminés, un seul excepté, qui puissent descendre de toutes nos montagnes, tous altérés du sang les uns des autres… Un roi, ses nobles, et des milliers de curieux, présens comme à un spectacle pour encourager leur fureur infernale… Les combattans se précipitent les uns sur les autres comme des êtres privés de raison ; l’acier retentit, le sang coule ; ils se déchirent comme des bêtes sauvages ; les blessés sont foulés aux pieds par leurs compagnons ; le sang ruisselle, les bras s’affaiblissent, mais il ne peut y avoir ni pourparler, ni trêve, ni suspension d’armes tant que la vie reste à deux combattans ennemis. Il ne s’agit pas de se cacher derrière des parapets, de lancer des flèches au loin ; il faut combattre corps-à-corps, bras contre bras, jusqu’à ce que la main ne puisse plus se soulever pour maintenir cet affreux combat. Si la peinture seule en est si horrible, que croyez-vous que sera la réalité ?
Le gantier garda le silence.
– Je vous demande encore une fois, qu’en pensez-vous ?
– Je ne puis qu’avoir compassion de vous, Conachar. Il est dur de descendre d’une si brave lignée, d’être fils d’un si noble père, de se trouver par droit de naissance chef d’un peuple si belliqueux, et
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