La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
et c’était un amusement qui lui faisait paraître le temps plus court, tandis que la famille de Niel se groupait autour de lui pour admirer son adresse et pour écouter les histoires et les ballades par lesquelles le vieillard avait le talent d’égayer la soirée.
On doit avouer que le gantier circonspect évitait toute conversation avec le père Clement, qu’il regardait mal à propos comme l’auteur de ses infortunes plutôt que comme un être innocent qui les partageait. – Pour plaire à ses fantaisies, pensait-il, je ne risquerai pas de perdre l’amitié de ces bons moines qui peuvent m’être un jour si utiles. Je crois que ses sermons m’ont déjà fait bien assez de mal : ils ne m’ont pas rendu plus savant, et ils m’ont fait devenir plus pauvre. Non, non, Catherine et lui peuvent penser comme bon leur semblera, mais je saisirai la première occasion de retourner à Perth, comme un chien que son maître rappelle ; je me soumettrai tant qu’on le voudra à la haire et au cilice ; je paierai une bonne amende, et l’Église me recevra dans son giron.
Il s’était passé plus de quinze jours depuis que Glover était arrivé à Ballough, et il commençait à être surpris de n’avoir reçu aucunes nouvelles de sa fille ni de Henry Smith, à qui il pensait que le prévôt avait appris son plan de retraite et l’endroit où il devait se rendre. Il savait que le brave Gow ne pouvait rester sur le territoire du clan de Quhele, attendu diverses querelles qu’il avait eues avec ces montagnards, et notamment avec Eachin tandis qu’il portait le nom de Conachar ; mais il lui semblait que Henry aurait pu lui envoyer quelque message, et lui donner quelque signe de souvenir par le moyen des courriers qui passaient et repassaient sans cesse entre la cour et le clan de Quhele pour régler les conditions du combat, la marche des combattans à Perth, et tous les autres détails qui devaient être concertés d’avance. On était alors à la mi-mars, et le fatal dimanche des Rameaux arrivait rapidement.
Cependant le gantier exilé n’avait pas revu une seule fois son ancien apprenti. Le soin qu’on prenait de fournir à ses besoins sous tous les rapports prouvait qu’il n’était pas oublié ; mais toutes les fois qu’il entendait le son du cor du chef retentir dans les bois, il avait soin de diriger sa promenade du côté opposé. Un matin pourtant il se trouva dans le voisinage immédiat d’Eachin, presque sans avoir le temps de l’éviter ; et voici comment.
Il se promenait livré à ses réflexions dans une petite clairière entourée de grands arbres mêlés de broussailles, lorsqu’une biche blanche sortit du bois, poursuivie par deux chiens de chasse, dont l’un la saisit à la hanche et l’autre à la gorge. Ils la renversèrent à deux cents pas environ du gantier que cet incident imprévu fit tressaillir. Au même instant le son perçant d’un cor et l’aboiement d’un limier lui apprirent que les chasseurs qui poursuivaient la biche n’étaient pas loin, et il entendit leurs cris et le bruit de leur marche dans la forêt. Un instant de réflexion aurait convaincu Simon que ce qu’il avait de mieux à faire était de rester où il était ou de se retirer à pas lents, afin de laisser au jeune chef la liberté de lui parler ou de continuer son chemin, comme il le jugerait à propos. Mais le désir d’éviter la présence d’Eachin était devenu en lui une sorte d’instinct, et alarmé de le savoir si près, il se jeta dans un buisson de coudriers et de houx, où il se trouva complètement caché. À peine y était-il qu’Eachin, les joues couvertes des couleurs que donne l’exercice, sortit du bois et entra dans la clairière, accompagné de Torquil du Chêne son père de lait. Celui-ci avec autant de vigueur que d’adresse fit tourner sur le dos la biche qui luttait encore contre les chiens, lui appuya un genou sur la poitrine, et saisissant de la main droite ses pieds de devant, il présenta de la gauche son couteau de chasse au jeune chef pour qu’il lui coupât la gorge.
– Non, Torquil, dit Eachin, chargez-vous-en vous-même. Je n’ai pas le courage de tuer une biche si semblable à celle qui m’a nourri.
Il prononça ces mots avec un sourire mélancolique, et une larme se fraya un passage entre ses paupières. Torquil regarda un instant son jeune chef avec un air de surprise, et levant ensuite son couteau de chasse, il coupa le cou de la biche avec tant
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