La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
sans en avoir eu l’intention. Après vous avoir ainsi parlé, je vous supplie donc de ne pas abuser de votre pouvoir sur moi, et de me permettre de me retirer. Votre Altesse ne peut rien obtenir de moi que par des moyens indignes d’un chevalier et d’un homme.
– Vous êtes hardie, Catherine, mais vos paroles sont un cartel que je ne puis, ni comme chevalier, ni comme homme, me dispenser d’accepter. Il faut que je vous apprenne quel risque on court à faire de pareils défis.
En parlant ainsi il voulut la prendre dans ses bras, mais elle réussit à le repousser, et elle continua avec le même ton de fermeté :
– J’ai autant de force pour me défendre dans une lutte honorable, milord, que vous pouvez en avoir pour m’attaquer avec des intentions honteuses. Ne nous forcez pas à rougir tous deux en la mettant à l’épreuve. Vous pouvez me faire mourir sous les coups ; vous pouvez appeler de l’aide pour m’accabler plus aisément ; mais vous ne vaincrez pas autrement ma résistance.
– Pour quelle brute me prenez-vous donc, Catherine ? Je ne prétends employer d’autre force que celle qui fournit à une femme une excuse pour céder à sa propre faiblesse.
Il s’assit avec quelque émotion.
– En ce cas, milord, réservez-la pour celles qui désirent trouver une pareille excuse. Ma résistance est celle de l’esprit le plus déterminé que l’amour de l’honneur et la crainte de l’ignominie aient jamais inspirée. Hélas ! milord, si vous en triomphiez, vous rompriez tous les liens qui m’attachent à la vie, tous ceux qui vous enchaînent à l’honneur. J’ai été amenée ici par trahison, par des ruses que je ne puis connaître ; mais si j’en sortais déshonorée, ce ne serait que pour dénoncer dans toute l’Europe celui qui aurait détruit mon bonheur. Je prendrais en main le bâton de pèlerin, et partout où la chevalerie est honorée, partout où le nom de l’Écosse est connu, je proclamerais l’héritier de cent rois, le fils du bon Robert Stuart, le successeur futur du héros Bruce, un homme perfide et sans foi, indigne de la couronne qu’il attend et des éperons qu’il porte. Chaque dame dans toute l’Europe croirait ses lèvres souillées si elle prononçait votre nom, tous vos frères d’armes vous regarderaient comme un chevalier discourtois et félon, si vous aviez faussé le premier serment de la chevalerie, qui est de protéger la femme et de défendre le faible.
Rothsay se leva, et la regarda avec un mélange d’admiration et de ressentiment. – Vous oubliez à qui vous parlez, jeune fille, dit-il ; sachez que la distinction que je vous accorde exciterait la reconnaissance de certaines femmes dont vous êtes née pour porter la robe.
– Encore une fois, milord, réservez-la pour celles qui y attachent du prix ; ou pour mieux dire, réservez votre temps et votre santé pour des objets plus nobles et plus dignes de vous, pour la défense de votre patrie, pour le bonheur de vos sujets : Hélas ! milord, avec quelle joie un peuple tout entier vous reconnaîtrait-il pour son chef ! avec quel empressement se presserait-il autour de vous, si vous montriez le désir de le défendre contre l’oppression du puissant, contre la violence de celui qui méprise les lois, contre la séduction de l’homme vicieux et contre la tyrannie de l’hypocrite !
Le duc de Rothsay, dont les sentimens vertueux étaient aussi facilement excités qu’endormis, fut électrisé par l’enthousiasme avec lequel elle venait de parler. – Pardon si je vous ai alarmée, Catherine, lui dit-il ; vous avez l’âme trop noble pour servir de jouet à un plaisir passager, et je me suis mépris en concevant cette pensée. Quand même votre naissance serait digne de la noblesse de votre esprit et de votre beauté je n’ai pas un cœur à vous offrir ; car ce n’est que par l’hommage du cœur qu’on peut en obtenir un comme le vôtre. Mais mes espérances ont été flétries, Catherine ; la seule femme que j’aie véritablement aimée m’a été arrachée par une politique capricieuse, et l’on m’a forcé à prendre une épouse que je détesterai toujours, quand même elle aurait la douceur et la bonté qui peuvent seules rendre une femme aimable à mes yeux. Ma santé s’est délabrée dès ma première jeunesse ; que me reste-t-il, si ce n’est de cueillir le peu de fleurs qui peuvent se présenter à moi sur le court passage de la vie au tombeau ?
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