La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
allait jusqu’à la licence, le prince lui-même encourageant ce ton comme s’il avait eu dessein de faire oublier la sévérité de mœurs qu’il avait montrée dans la matinée, et que Ramorny, qui était versé dans la connaissance des anciennes chroniques, eut la hardiesse de comparer à la continence de Scipion.
Malgré la santé encore chancelante du duc de Rothsay, le repas se prolongea sans nécessité et l’on oublia toutes les bornes de la tempérance. Soit que ce fût uniquement la suite de la force du vin qu’il avait bu, ou de la faiblesse de sa constitution ; soit, ce qui est plus probable, que Dwining eût frelaté le dernier verre de vin que le prince avait pris, il arriva que vers la fin du repas le duc tomba dans une sorte de sommeil léthargique dont il fut impossible de l’éveiller. Sir John Ramorny et Dwining le portèrent dans sa chambre, sans autre assistance que celle d’une autre personne qui sera nommée ci-après.
Le lendemain matin on annonça que le prince était attaqué d’une maladie contagieuse, et pour empêcher qu’elle ne se répandît dans toute la maison, personne ne fût admis à le servir que son ci-devant grand-écuyer, son médecin Dwining et l’individu dont il a déjà été fait mention ; l’un d’eux semblait toujours rester dans l’appartement, tandis que les autres dans leurs relations avec le reste de la maison observaient les précautions propres à confirmer l’opinion qu’il était dangereusement attaqué d’une maladie contagieuse.
CHAPITRE XXXII.
Le destin de l’héritier imprudent du trône d’Écosse était bien différent de ce qu’on le supposait généralement dans l’intérieur du château de Falkland. Son oncle ambitieux avait résolu sa mort comme étant le moyen d’abattre la première et la plus redoutable barrière qui existait entre sa propre famille et le trône. Jacques, second fils du roi, n’était encore qu’un enfant, et il pourrait s’en débarrasser plus à loisir : Les vues d’agrandissement de Ramorny, et le ressentiment qu’il avait conçu depuis peu contre son maître en avaient fait un agent volontaire pour immoler le jeune Rothsay ; et la cupidité de Dwining, jointe à la méchanceté naturelle de son caractère, l’y rendaient également disposé. Il avait été déterminé avec la cruauté la plus froidement calculée qu’on devait éviter avec soin tous moyens qui pourraient laisser derrière eux quelques traces de violence, et laisser sa vie s’éteindre par la privation des alimens qui devait détruire rapidement une constitution frêle et affaiblie. Le prince d’Écosse ne devait pas être assassiné ; mais comme Ramorny s’était exprimé dans une autre occasion, devait seulement cesser d’exister.
La chambre à coucher de Rothsay dans la tour de Falkland avait été bien choisie pour l’exécution de cet horrible complot. Un petit escalier étroit dont l’existence était à peine connue conduisait de là par une trappe dans les cachots souterrains du château, par un passage dont se servait le seigneur féodal quand il voulait visiter en secret, et sous quelque déguisement, les habitans de ces régions consacrées au désespoir. Ce fut par cet escalier que les scélérats transportèrent le prince plongé dans un assoupissement léthargique, au fond d’un cachot si profondément creusé dans les entrailles de la terre, que ni les gémissemens ni les cris du captif ne pouvaient se faire entendre, tandis que la solidité de la porte, des gonds et de la serrure aurait résisté long-temps aux efforts qu’on aurait faits pour l’enfoncer quand même on fût parvenu à en découvrir l’entrée. Bonthron, que l’on avait sauvé du gibet pour le faire participer à ce nouveau crime, devint l’instrument de Ramorny dans l’exécution de cet acte de cruauté inouïe contre son maître trahi.
Ce misérable retourna au cachot précisément à l’instant où le prince commençait à sortir de sa léthargie, et que recouvrant le sentiment il se sentit saisi d’un froid mortel, et chargé de fers qui lui permettaient à peine de faire un mouvement sur sa paille humide ; sa première idée fut qu’il faisait un rêve horrible, – la seconde lui offrit un pressentiment confus de la vérité. – Il appela, il cria, il poussa des hurlemens de frénésie ; mais nul secours n’arriva, et l’écho de la voûte de son cachot répondit seul à ses cris. L’agent de l’enfer entendit
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