La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
sang, et que lorsque vous recevez une blessure c’est mon cœur qui est percé.
Le ton sincèrement affectueux dont ces paroles furent prononcées donna du courage à l’armurier.
– Et pourquoi, dit-il, ne pas étendre votre intérêt un peu au-delà de ces froides limites ? Pourquoi, puisque vous êtes assez bonne et assez généreuse pour avouer que vous prenez quelque intérêt au pauvre ignorant pécheur qui est devant vous, ne l’adoptez-vous pas sur-le-champ pour votre disciple et votre époux ? Votre père le désire, toute la ville s’y attend ; les gantiers et les forgerons préparent leurs réjouissances ; et vous, vous seule, dont les paroles ont tant de douceur et de bonté, vous y refusez votre consentement !
– Henry, dit Catherine d’une croix basse et tremblante, croyez que je me ferais un devoir d’obéir aux ordres de mon père, s’il n’existait des obstacles invincibles au mariage qu’il me propose.
– Mais réfléchissez – réfléchissez un instant. J’ai peu de chose à dire pour me faire valoir, en comparaison de vous qui savez lire et écrire. Mais j’aime à entendre lire, et jamais je ne me lasserais d’écouter votre douce voix. Vous aimez la musique, j’ai appris à pincer de la harpe et à chanter aussi bien que quelques ménestrels. Votre plaisir est d’être charitable, j’ai le moyen de donner sans risquer de m’appauvrir ; je pourrais faire tous les jours des aumônes aussi considérables qu’un diacre {43} sans m’en apercevoir. Votre père devient vieux pour travailler comme il le fait ; il demeurerait avec nous, car je le regarderais bien véritablement comme mon père. Je m’abstiendrais de toute querelle frivole aussi bien que de jeter ma main dans ma fournaise ; et si quelqu’un s’avisait de nous insulter, je lui ferais voir qu’il n’a pas choisi le marché convenable pour le débit de sa marchandise.
– Puissiez-vous éprouver tout le bonheur domestique que vous pouvez vous figurer, Henry, – mais avec une femme plus heureuse que je ne le suis, dit la Jolie Fille de Perth qui semblait près d’étouffer par les efforts qu’elle faisait pour retenir ses pleurs, et presque ses sanglots.
– Vous me haïssez donc ! demanda l’amant après quelques instans de silence.
– Non : le ciel m’en est témoin.
– Ou vous aimez quelqu’un mieux que moi ?
– C’est une cruauté de demander ce qu’il ne peut vous être utile de savoir ; mais vous vous trompez complètement.
– Ce chat sauvage de Conachar, peut-être ? j’ai remarqué ses regards, et…
– Vous profitez de ma situation pénible pour m’insulter, Henry, quoique je ne l’aie pas mérité. Conachar n’est rien pour moi, si ce n’est qu’ayant essayé de dompter son esprit violent par quelque instruction, j’ai pris un peu d’intérêt à un jeune homme abandonné à ses préjugés et à ses passions, et qui par conséquent a une certaine ressemblance avec vous, Henry.
– Il faut donc que ce soit quelque Sir Ver à Soie, quelqu’un de ces courtisans fringans, dit l’armurier dont le dépit irritait son caractère naturellement ardent ; quelqu’un de ceux qui s’imaginent devoir tout emporter par la hauteur de leur panache et par l’éclat de leurs éperons dorés. Je voudrais bien savoir quel est celui qui, abandonnant ses compagnes naturelles, les dames fardées et parfumées de la cour, prétend faire sa proie des filles des simples artisans de la ville. Je voudrais connaître son nom et son surnom.
– Henry Smith, dit Catherine surmontant la faiblesse qui avait paru menacer de l’accabler quelques momens auparavant, ce langage est celui de la folie et de l’ingratitude, ou plutôt de la fureur. Je vous ai déjà dit au commencement de cet entretien qu’il n’existait personne dont j’eusse une plus haute opinion que celui qui perd maintenant quelque chose de mon estime à chaque mot qu’il prononce avec un ton de soupçon injuste et de colère sans motif. Vous n’aviez pas même le droit de savoir ce que je vous ai dit, et je vous prie de faire attention que mes discours ne doivent pas vous autoriser à croire que je vous accorde la préférence sur les autres, quoique j’aie avoué que je ne vous préfère personne. Il suffit que vous sachiez qu’il existe un obstacle insurmontable à ce que vous désirez, comme si un enchanteur avait jeté un charme sur ma destinée.
– Les gens courageux savent rompre les charmes,
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