La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
dit Smith ; je voudrais n’avoir que cela à craindre. D’Horbion, l’armurier danois, me parla d’un charme qu’il avait pour rendre ses cuirasses impénétrables en chantant une certaine chanson pendant que le fer chauffait. Je lui dis que ses rimes runiques n’étaient pas à l’épreuve contre les armes dont on se servait pour se battre à Luncarty {44} . Il est inutile de dire ce qui en résulta ; mais sa cuirasse, celui qui la portait et le chirurgien qui guérit sa blessure savent si Henry Gow peut rompre un charme.
Catherine le regarda comme si elle allait lui répondre de manière à lui prouver qu’elle n’admirait nullement l’exploit dont il venait de se vanter, le brave armurier ne s’étant pas souvenu qu’il était d’un genre à l’exposer encore à sa censure. Mais avant qu’elle eût le temps d’exprimer ses pensées, son père entr’ouvrit la porte et avança la tête dans l’appartement.
– Henry, dit-il, il faut que j’interrompe des affaires plus agréables pour te prier de passer dans mon atelier sans perdre un instant, pour y délibérer sur des affaires de la plus grande importance pour la ville.
Henry, saluant Catherine, quitta sur-le-champ l’appartement. Il fut peut-être heureux pour maintenir entre eux des relations amicales à l’avenir, qu’ils eussent été brusquement séparés de cette manière, d’après la tournure que la conversation semblait devoir prendre, car l’amant, d’après le degré d’encouragement qu’il s’imaginait avoir reçu, commençait à regarder les refus de la Jolie Fille comme l’inexplicable effet d’un caprice ; et Catherine d’une autre part le considérait comme voulant abuser de la faveur qu’elle lui avait accordée plutôt que comme un homme que sa délicatesse rendait digne de la recevoir.
Mais leur cœur nourrissait un sentiment d’attachement réciproque qui, une fois la querelle terminée, devait y renaître et faire oublier à la jeune fille la blessure faite à sa délicatesse, et à l’amant la froideur avec laquelle elle avait répondu à son ardente passion.
CHAPITRE VII.
« Cette querelle peut coûter du sang quelque autre jour. »
SHAKSPEARE. Henry VI, partie I.
Le conclave de citoyens qui s’étaient donné rendez-vous pour délibérer sur le tumulte de la nuit précédente était alors assemblé. L’atelier de Simon Glover était rempli d’une foule de personnages qui n’étaient pas de peu d’importance, et dont quelques-uns portaient des habits de velours noir et avaient une chaîne d’or autour du cou. C’étaient véritablement les pères conscrits de la ville, et il se trouvait parmi ces honorables bourgeois des baillis et des diacres de corporations. Tous leurs fronts avaient un air de courroux et d’importance offensée, tandis qu’ils causaient à demi-voix avant de se livrer à une discussion en règle. Parmi ces personnages affairés, celui qui semblait encore plus affairé que les autres était le petit bourgeois important qu’on a vu figurer à la fin du tumulte de la nuit précédente, nommé Olivier Proudfute, bonnetier de profession. On le voyait s’agiter et courir çà et là dans la foule, à peu près comme la mouette qui au commencement d’une tempête étend ses ailes, pousse des cris et voltige encore irrégulièrement dans les airs, quand on croirait qu’elle devrait plutôt se réfugier dans son nid et y rester tranquille pendant l’ouragan.
Quoi qu’il en soit, maître Proudfute était au milieu de la foule, accrochant ses doigts au bouton de l’un, approchant ses lèvres de l’oreille de l’autre, accostant ceux qui étaient à peu près de sa taille, et se levant sur la pointe des pieds pour faire part de ses nouvelles à ceux qui étaient plus grands que lui, en saisissant le collet de leur habit pour se soutenir. Se sentant l’avantage d’être mieux informé que les autres, puisqu’il avait été témoin oculaire, il se regardait comme un des héros de l’affaire, et il était disposé à pousser la part qu’il y avait prise au-delà des limites de la modestie et de la vérité. On ne peut dire que les informations qu’il donnait fussent bien curieuses et bien importantes ; elles se bornaient en général à ce qui suit :
– Tout cela est vrai par saint Jean ! j’y étais moi-même et je l’ai vu de mes propres yeux. J’ai été le premier à courir au bruit, et sans moi et un autre vigoureux gaillard qui est arrivé
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