La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
de lui remettre cette affaire entre les mains, vu qu’il s’agit, comme il est à craindre, de quelque noble puissant ?
– Le prévôt étant lui-même un de nos nobles, dit l’apothicaire dont la terreur avait un peu diminué quand il avait entendu le bailli intervenir en sa faveur, Dieu sait que je n’ai pas intention de dire la moindre chose contre un seigneur dont les ancêtres ont rempli pendant tant d’années la place qu’il occupe aujourd’hui, mais…
– Par le choix libre des citoyens de Perth, dit Smith interrompant l’orateur en faisant entendre le son de sa voix forte.
– Sans doute, reprit l’apothicaire déconcerté, par le suffrage des citoyens. Comment cela pourrait-il être autrement ? – Je vous prie de ne pas m’interrompre, ami Smith ; je parle à notre digne bailli Craigdallie, et je lui fais connaître mes pauvres idées. Je dis que quoi qu’il en puisse arriver, sir Patrice Charteris est un noble, et que les faucons n’arrachent pas les yeux aux faucons. Il peut nous soutenir dans une querelle contre les montagnards, et prendre parti contre eux comme notre chef et notre prévôt ; mais la question est de savoir si, lui qui porte de la soie, sera disposé à embrasser notre cause contre des habits brodés et du drap d’or, comme il l’a fait contre le tartan et la frise d’Irlande. Suivez l’avis d’un fou. Nous avons sauvé notre Jolie Fille, dont je n’ai jamais eu dessein de mal parler puisque je ne connais pas de mal à en dire ; ils ont perdu au moins la main d’un homme, grâce à Henry Smith.
– Et moi, dit le petit important marchand bonnetier.
– Et à Olivier Proudfute, comme il nous le dit, ajouta l’apothicaire qui ne contestait la gloire de personne, pourvu qu’on ne le forçat point à marcher sur le sentier périlleux de ceux qui l’avaient acquise. Je dis, voisins, que puisqu’ils nous ont laissé une main comme un gage qu’ils ne reviendront jamais dans Curfew-Street, il me semble, dans la simplicité de mon esprit, que ce que nous avons de mieux à faire, c’est d’adresser nos remerciemens à notre brave concitoyen Henry, et attendu que tout l’honneur a été pour la ville et toute la perte pour ces tapageurs, de laisser l’affaire s’assoupir et de n’en plus parler.
Ce conseil pacifique fit impression sur quelques uns des bourgeois qui commencèrent à faire des signes de tête d’approbation et à regarder d’un air grave l’avocat de la modération, dont Simon Glover lui-même semblait partager l’opinion, quoiqu’il se fût trouvé offensé un moment auparavant. Mais il n’en fut pas de même de Henry Smith, et voyant que personne ne se disposait à parler, il prit la parole avec sa franchise ordinaire.
– Voisins, dit-il, je ne suis ni le plus âgé ni le plus riche de vous, et je n’en suis pas fâché. Les années viendront à celui qui vivra pour les voir, et je puis gagner et dépenser mon argent comme un autre à la lueur de ma fournaise et au vent de mon soufflet. Mais personne ne m’a jamais vu rester tranquille lorsqu’on a fait tort à notre belle ville en paroles ou en actions, s’il était au pouvoir de la langue et du bras d’un homme d’en faire justice. Je ne supporterai donc pas tranquillement un tel outrage si je puis faire mieux. J’irai trouver le prévôt moi-même, quand je devrais y aller seul. C’est un chevalier, je le sais ; c’est un noble de père en fils, comme nous le savons tous, depuis le temps de Wallace qui a établi en ce pays le bisaïeul de sir Patrice. Mais quand il serait le noble le plus fier de tout le pays, il est prévôt de Perth, et il doit veiller à la conservation des priviléges et immunités de la ville. Oui, et je sais qu’il le fera ; je lui ai fait une cuirasse en acier, et je puis me douter quelle espèce de cœur elle était destinée à couvrir.
– Certainement, dit le bailli Craigdallie, il ne servirait rien de nous présenter à la cour sans l’appui de sir Patrice Charteris. La réponse à nous faire serait toute prête : Allez trouver votre prévôt, bourgeois malappris ! Ainsi, voisins et concitoyens, si vous êtes de mon avis, l’apothicaire Dwining et moi nous nous rendrons sur-le-champ à Kinfauns, avec Simon Glover, le brave Smith et le vaillant Olivier Proudfute, comme témoins de l’outrage ; et nous parlerons à sir Patrice Charteris au nom de notre belle ville.
– Oh ! dit le pacifique vendeur de médecines,
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