La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
seigneurs de Kinfauns, dans le voisinage de la ville. À peine un siècle s’était-il passé (sous le règne de Robert III {47} ) depuis que le premier individu de cette famille distinguée s’était établi dans le château-fort qui lui appartenait alors, ainsi que le territoire fertile et pittoresque qui l’entourait. Mais l’histoire de celui qui s’était ainsi fixé le premier dans ce canton avait une couleur chevaleresque et romanesque bien faite pour faciliter l’établissement d’un étranger dans le pays où le destin l’avait conduit. Nous la rapporterons telle que la donne une tradition ancienne et uniforme qui renferme une grande apparence de vérité, et qui est peut-être assez authentique pour mériter de trouver place dans les ouvrages plus graves que celui qui est en ce moment sous les yeux du lecteur.
Pendant la courte carrière de l’illustre patriote sir William Wallace, et lorsque ses armes eurent pour un temps chassé de son pays natal les Anglais qui l’avaient envahi, on dit qu’il entreprit un voyage en France avec quelques amis sûrs, pour voir si sa présence (car sa prouesse le faisait respecter en tout pays) pourrait déterminer le monarque français à envoyer en Écosse un corps de troupes auxiliaires ou quelques autres secours pour aider les Écossais à reconquérir leur indépendance.
Le champion écossais était à bord d’un petit bâtiment qui se dirigeait vers le port de Dieppe, quand on aperçut dans le lointain une voile que les marins regardèrent d’abord avec doute et inquiétude, puis avec crainte et terreur. Wallace demanda quelle était la cause de leurs alarmes. Le capitaine du navire l’informa que le grand vaisseau qui s’avançait vers eux dans le dessein de prendre à l’abordage celui qu’il commandait appartenait à un célèbre corsaire, également fameux par son courage, sa force de corps, et la faveur constante que lui accordait la fortune. Il était commandé par un gentilhomme français nommé Thomas de Longueville, devenu un de ces pirates qui se proclamaient amis de la mer et ennemis de tous ceux qui faisaient voile sur cet élément. Il attaquait et pillait les bâtimens de toutes les nations ; comme un de ces anciens Norses, Rois de la Mer comme on les appelait, et dont le trône était placé sur les montagnes humides des vagues. Le capitaine ajouta qu’aucun navire ne pouvait échapper au corsaire par la fuite, tant le vaisseau qu’il montait était bon voilier, et qu’aucun équipage, quelque brave qu’il fût, ne pouvait espérer de lui résister quand il en venait à l’abordage à la tête de ses gens, ce qui était sa manœuvre ordinaire.
Wallace sourit amèrement tandis que le capitaine, avec un air effrayé et les larmes aux yeux, lui annonçait la certitude qu’ils seraient pris par le Corsaire Rouge, nom qu’on avait donné à Thomas de Longueville, parce qu’il arborait ordinairement le pavillon couleur de sang qu’on voyait déjà déployé.
– Je délivrerai la Manche de ce corsaire ! dit Wallace.
Appelant alors près de lui douze des amis qui l’avaient accompagné, Boyd, Kerlie, Seton, et autres pour qui la poussière du combat le plus terrible était comme le souffle de la vie, il leur ordonna de s’armer et de se coucher sur le tillac de manière à ne pouvoir être vus. Il fit descendre tous les marins sous le pont, à l’exception de ceux qui étaient absolument nécessaires à la manœuvre du bâtiment, et commanda au maître sous peine de mort de manœuvrer de manière à avoir l’air de fuir, tout en laissant au Corsaire Rouge la facilité de joindre le bâtiment. Wallace lui-même se coucha alors sur le pont pour qu’on ne pût rien voir qui indiquât des projets de résistance. Au bout d’un quart d’heure le vaisseau de Longueville arriva près de celui du champion écossais. Le corsaire jeta ses grappins pour s’assurer de la prise, et sauta à bord, armé de pied en cap, suivi de ses gens qui poussèrent un cri terrible comme si la victoire leur eût déjà été assurée. Mais les Écossais armés se relevèrent sur-le-champ, et le Corsaire Rouge trouva inopinément qu’il avait à combattre des gens qui regardaient la victoire comme certaine quand chacun d’eux n’avait affaire qu’à deux ou trois adversaires. Wallace se précipita lui-même contre le pirate, et une lutte si terrible commença entre eux que tous les autres cessèrent de se battre pour en être spectateurs,
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