La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
pouvoir royal de prendre avec le duc Rothsay les mesures que vous jugerez les plus convenables pour son bonheur et celui du royaume.
– Ceci est cruel, mon frère ; vous m’indiquez la pénible carrière dans laquelle vous voulez que j’entre, et vous ne m’offrez point votre appui pour la parcourir.
– Mon appui est aux ordres de Votre Grâce ; mais de tous les hommes je dois être le dernier à conseiller à Votre Majesté des mesures sévères contre votre fils et votre héritier, le ciel m’en préserve ! moi à qui, en cas d’extinction de votre famille, cette fatale couronne doit appartenir. Ne serait-il pas dit et pensé par le violent March, par l’orgueilleux Douglas, qu’Albany a semé la discorde entre le roi son frère et l’héritier du trône d’Écosse, afin d’en aplanir la route à sa propre famille ? Non, sire ! Je puis sacrifier ma vie à votre service ; mais mon honneur doit se conserver intact.
– Vous dites vrai, Robert, vous dites très vrai, reprit le roi en se hâtant d’interpréter suivant ses désirs les paroles de son frère ; nous ne devons pas souffrir que ces lords puissans et dangereux s’aperçoivent qu’il y a quelque chose qui ressemble à la discorde dans la famille royale. Cela doit être évité par-dessus tout ; ainsi nous allons encore essayer l’indulgence, dans l’espoir de corriger les folies de Rothsay. J’aperçois en lui de temps en temps des étincelles de raison qui le rendent digne d’être aimé. Il est jeune, bien jeune ; il est prince et dans toute la fougue de son âge. Nous aurons avec lui de la patience comme un bon cavalier avec un coursier indocile. Laissez passer cette humeur légère, et personne plus que vous ne sera satisfait de sa conduite. Vous m’avez quelquefois reproché avec tendresse d’être trop retiré, trop doux : Rothsay n’a point ces défauts.
– Je gagerais ma vie qu’il ne les a pas, reprit le duc sèchement.
– Il ne manque pas plus de jugement que de vivacité, continua le pauvre roi plaidant la cause de son fils contre son frère ; je l’ai envoyé chercher pour assister au conseil aujourd’hui, et nous verrons comment il s’acquittera de son devoir. Vous convenez vous-même, Robert, que le prince ne manque ni de finesse ni de capacité pour les affaires, quand il est disposé à les traiter sérieusement.
– Sans aucun doute, sire, quand il est disposé à les traiter sérieusement.
– C’est ce que je dis, et mon cœur est satisfait que vous soyez d’accord avec moi, Robert, dans le dessein que j’ai d’essayer encore l’indulgence envers ce pauvre jeune homme. Il n’a plus de mère pour plaider sa cause auprès d’un père irrité. Il faut se le rappeler, Albany.
– Je désire que les moyens les plus agréables aux sentimens paternels de Votre Majesté soient aussi les plus sages et les meilleurs.
Le duc s’aperçut de l’innocent stratagème par lequel le roi essayait d’échapper à la conséquence de ses raisonnemens, désirant adopter sous le prétexte d’avoir obtenu la sanction de son frère une manière de procéder à l’égard de son fils entièrement opposée à ce qu’il venait de lui recommander. Mais quoiqu’il vit qu’il ne pouvait l’entraîner à suivre la conduite qu’il lui avait indiquée, il ne voulut point abandonner tout espoir, résolu de saisir une meilleure occasion pour obtenir les tristes avantages que de nouvelles querelles entre le roi et le prince lui donneraient bientôt.
Pendant ce temps le roi Robert craignant que son frère ne reprît le sujet pénible auquel il venait d’échapper, appela le prieur des dominicains. – J’entends le trot d’un cheval, lui dit-il ; de l’endroit où vous êtes placé, vous pouvez voir dans la cour, révérend père ; regardez par la fenêtre, et dites-nous qui arrive. – Rothsay, n’est-ce pas ?
– Le noble comte de March avec sa suite, répondit le prieur.
– Cette suite est-elle nombreuse ? dit le roi. Ses gens entrent-ils dans la cour intérieure ?
Au même moment, Albany dit au roi, à voix basse : – Ne craignez rien, les Brandanes {53} de votre maison sont sous les armes.
Le roi le remercia par un signe de tête, tandis que le prieur répondait ainsi à la question qui lui avait été faite.
– Le comte est accompagné par deux pages, deux gentilshommes et quatre varlets. Un page le suit dans le grand escalier, portant l’épée de Sa Seigneurie. Le reste de la
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