La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
avec les bourgeois de la ville en a été la cause, sire ; mais nous ignorons ce qui l’a occasionnée. La coutume de notre maison est d’accorder vingt-quatre heures de refuge sans interruption dans le sanctuaire de saint Dominique, avant de faire aucune question aux infortunés qui y ont cherché un abri. S’ils désirent y rester plus long-temps, le motif qui les a engagés à se réfugier dans le sanctuaire doit être inscrit sur les registres du couvent, et – grâces en soient rendues à notre bienheureux saint ! – cette protection temporaire sauve de la rigueur des lois bien des gens que nous pourrions nous croire obligés de livrer à leurs ennemis et à leurs persécuteurs si nous connaissions le caractère de leurs crimes.
Tandis que le prieur parlait ainsi, une idée un peu vague à la vérité se présenta à l’esprit du monarque, que le privilége du sanctuaire accordé si aveuglément devait être une interruption sérieuse au cours de la justice dans son royaume. Mais il la repoussa comme si c’eût été une suggestion de Satan, et il eut soin de ne pas laisser échapper, un seul mot qui pût faire connaître au prieur qu’une pensée si profane l’avait occupé un instant. Au contraire, il se hâta de changer le sujet de la conversation.
– Le soleil marche bien lentement, dit-il. Après la fâcheuse nouvelle que vous venez de m’apprendre, je me serais attendu que les seigneurs composant mon conseil se seraient plus empressés de venir prendre mes ordres relativement à cette affaire mystérieuse. Ce fut un malheureux sort qui me donna à gouverner un peuple parmi lequel il me semble que je suis la seule personne qui désire le repos et la tranquillité.
– L’Église désire toujours la paix et la tranquillité, répliqua le prieur, ne voulant pas même qu’une observation si générale échappât à l’esprit accablé du pauvre monarque sans insister sur une exception en faveur de l’Église.
– Nous ne voulons pas dire autre chose, père prieur, dit Robert ; mais vous conviendrez que l’Église en apaisant ainsi les querelles comme elle en a certainement l’intention, ressemble à la ménagère affairée qui met en mouvement la poussière tandis qu’elle veut la balayer.
Le prieur aurait fait quelque réplique à cette remarque ; mais la porte de l’appartement s’ouvrit, et un chambellan annonça le duc d’Albany.
CHAPITRE X.
« Vraiment, si je sais comment arranger ces
« affaires qui me tombent ainsi en désordre sur
« les bras, je veux qu’on ne me croie plus.
SHAKSPEARE. Richard III.
Le duc d’Albany, ainsi que le roi son frère, portait le nom de Robert. Le nom de baptême du dernier avait été Jean jusqu’à l’instant où il monta sur le trône ; mais les superstitieux du temps ayant observé que le malheur avait constamment accompagné ce nom pendant la vie et les règnes de Jean d’Angleterre, Jean de France et Jean Baliol d’Écosse, il fut convenu que pour détourner le mauvais présage le nouveau roi prendrait le nom de Robert, rendu cher à l’Écosse par le souvenir de Robert Bruce. Nous mentionnons ceci pour expliquer la singularité de deux frères portant le même nom de baptême dans une famille, ce qui à cette époque n’était certainement pas plus commun qu’aujourd’hui.
Le duc d’Albany, avancé en âge comme le roi, n’était pas plus porté que lui aux entreprises guerrières. Mais s’il ne brillait point par le courage, il ne manquait pas de prudence pour le cacher adroitement, certain que ce défaut, s’il était seulement soupçonné, renverserait tous les plans formés par son ambition. Il avait aussi assez de fierté pour suppléer en cas d’extrémité à la valeur qu’il ne possédait pas réellement, et assez d’empire sur ses esprits pour en dissimuler l’agitation. Sous d’autres rapports c’était un politique habile : il était calme, plein de sang-froid et artificieux ; arrêtant ses regards sur le but qu’il désirait atteindre, tandis qu’il était encore éloigné ; ne le perdant jamais de vue, quoique les détours de la route qu’il suivait parussent souvent devoir le conduire vers une tout autre direction. Dans sa personne il ressemblait au roi, car sa taille et ses manières étaient également nobles et majestueuses ; mais il avait sur son frère aîné l’avantage d’être exempt d’infirmités et d’avoir un esprit plus actif. Son costume était riche et
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