La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
alternativement sur son maître et sur la jeune chanteuse. Mais elle secoua la tête et s’avança de nouveau vers la porte.
– Je n’ai reçu cette pauvre fille dans ma maison, dit l’armurier, que pour la sauver de la prison et du fouet.
– Et pourquoi vouloir la sauver ? répondit l’inexorable dame Shoolbred ; je gagerais qu’elle mérite l’un et l’autre aussi bien que jamais voleur mérita un collier de chanvre.
– Que cela soit ou non, elle ne mérite pas du moins d’être fustigée jusqu’au sang, ou prisonnière jusqu’à ce qu’elle meure de faim, et c’est ce qui attend tous ceux que Douglas-le-Noir a condamnés.
– Ainsi vous allez offenser Douglas-le-Noir pour l’amour d’une chanteuse ? Ceci deviendra la plus terrible de vos querelles. Ô Henry Gow ! il y a autant de fer dans votre tête que dans votre enclume !
– Je l’ai quelquefois pensé moi-même, mistress Shoolbred ; mais si j’attrape quelque bonne blessure à cette occasion, je ne sais trop qui pourra me soigner si vous prenez la fuite comme une oie sauvage effarouchée. Oh ! qui recevra donc ma belle fiancée que j’espère amener ici un de ces jours ?
– Ah ! Henry ! Henry ! reprit la vieille femme en secouant la tête, ce n’est point ainsi qu’on prépare la maison d’un honnête homme pour recevoir une jeune fiancée. Vous devriez être guidé par la modestie et la prudence, et non par le libertinage et l’impudicité.
– Je vous dis encore une fois que cette pauvre créature ne m’est rien. Je désire seulement qu’elle soit en sûreté, et j’espère que le plus hardi des habitans des frontières respectera la serrure de ma porte comme celle de la grille du château de Carlisle. Je vais me rendre chez Simon Glover. J’y resterai toute la nuit, car l’apprenti s’est sauvé dans ses montagnes comme un louveteau qu’il est ; ainsi il y a un lit de libre, et le père Simon sera bien aise que j’en profite. Vous resterez avec cette pauvre fille, vous lui donnerez des alimens et la protégerez pendant la nuit. Je viendrai la reprendre avant le jour ; vous pourrez la conduire avec moi au bateau, nourrice, et là nous la verrons vous et moi pour la dernière fois.
– Il y a de la raison dans tout cela, dit dame Shoolbred ; mais pourquoi courir le risque de perdre votre réputation pour une fille qui trouverait un logement pour une pièce de deux sous, et peut-être moins ? C’est un mystère que je ne puis deviner.
– Fiez-vous à moi, nourrice, et soyez charitable envers la jeune fille.
– Plus charitable qu’elle ne le mérite, je vous l’assure, mais enfin, quoique je n’aime point la compagnie d’un tel bétail, je pense que sa société me sera moins nuisible qu’à vous. À moins cependant que ce ne soit une sorcière, ce qui serait fort possible, car la plupart de ces vagabonds se sont donnés au diable.
– Elle n’est pas plus sorcière que je ne suis magicien, dit l’honnête armurier ; une pauvre créature dont le cœur semble brisé, et qui, si elle a commis des fautes, a plutôt été entraînée elle-même par quelque sorcier. Soyez bonne envers elle, et vous, musicale damoiselle, je vous reverrai demain matin pour vous conduire sur la côte. Cette vieille femme vous traitera avec douceur si vous ne dites rien qui puisse offenser de chastes oreilles.
La jeune chanteuse avait écouté ce dialogue, n’en comprenant guère que le sens. Elle parlait bien anglais, mais elle avait appris cette langue en Angleterre, et le dialecte du nord était alors comme il l’est aujourd’hui plus rude et plus grossier. Elle voyait néanmoins qu’elle allait rester avec la vieille dame, et croisant modestement ses bras sur sa poitrine, elle pencha la tête avec humilité. Elle regarda ensuite l’armurier avec une vive expression de reconnaissance, puis levant les yeux au ciel, prit la main robuste qu’il lui abandonna, et elle allait y déposer un baiser lorsque dame Shoolbred, qui n’approuvait point ce mode d’exprimer sa gratitude, se jeta entre eux et dit en poussant Louise de côté : – Non, non, je ne veux rien de semblable ici ; allez dans le coin de cette cheminée, mistress ; et quand Henry sera parti, s’il vous faut des mains à baiser vous pourrez baiser les miennes aussi souvent que cela vous fera plaisir. Et vous, Henry, rendez-vous chez Simon Glover ; car si la jolie mistress Catherine apprend quelle société vous avez amenée chez
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