La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
de nouvelles amours. Le chien enchaîné doit se contenter de l’os qui est le plus près de lui.
– Rothsay ! malheureux enfant ! s’écria Robert, devenez-vous fou ? ou voulez-vous attirer sur votre tête toute la colère d’un roi et d’un père ?
– Je deviens muet dès que Votre Grâce l’ordonne, répondit le prince.
– Maintenant, milord Albany, reprit le roi, puisque tel est votre avis et que le sang écossais doit couler, comment pourrons-nous engager ces hommes grossiers à consentir au combat que vous proposez ?
– Avant de répondre à Votre Grâce, dit Albany, il faut de plus mûres délibérations. Mais la tâche ne sera pas difficile : avec de l’or on pourra séduire quelques-uns de leurs bardes, de leurs principaux conseillers et de leurs orateurs, et il sera nécessaire de faire entendre aux chefs de ces deux ligues que s’ils ne consentent pas à cet arrangement amiable…
– Amiable ! dit le roi avec expression.
– Oui, amiable, sire, reprit Albany, car il vaut mieux que le pays achète la paix aux dépens de quelques vingtaines de montagnards que de continuer la guerre jusqu’à ce qu’autant de milliers d’hommes soient détruits par l’épée, le feu, la famine et tous les maux de la guerre civile. Pour revenir à notre dessein, je pense que le premier parti auquel cet accommodement sera proposé y consentira avec joie ; que l’autre aurait honte alors de refuser de confier sa cause à la valeur des plus braves. La haine et la vanité les empêcheront de deviner nos motifs, et ils seront plus ardens à se tailler en pièces que nous à les encourager. Maintenant que j’ai rempli ma tâche autant que mes conseils pouvaient être utiles, je me retire.
– Restez encore un instant, dit le prieur. Et moi aussi j’ai un secret à révéler, et d’une nature si noire, si horrible, que le cœur religieux de Votre Grâce pourra à peine le comprendre ; et je le découvre avec chagrin, parce que je suis persuadé (comme il est certain que je suis un indigne serviteur de saint Dominique) qu’il est la cause de la colère du ciel contre ce malheureux pays ; colère par laquelle nos victoires sont changées en défaites, notre joie en deuil, nos conseils troublés par la désunion, et l’Écosse dévorée par la guerre civile.
– Parlez, révérend père, dit le roi ; assurément si la cause de ce mal est en moi ou dans ma famille, je me charge d’y apporter remède.
Il prononça ces mots d’une voix faible et attendit avec anxiété la réponse du prieur, craignant sans doute qu’il ne dévoilât quelques nouveaux vices ou quelque nouvelle folie du duc de Rothsay. Son appréhension le trahit peut-être quand il crut voir les yeux du moine s’arrêter un instant sur le prince avant de dire d’un ton solennel : – L’hérésie, mon noble et gracieux souverain, l’hérésie est parmi nous. Elle ravit les âmes à la congrégation, les unes après les autres, comme les loups ravissent les agneaux dans la bergerie.
– Il y a cependant assez de bergers pour garder les moutons, dit le duc de Rothsay. Quatre couvens de moines réguliers seulement, sans compter le clergé séculier. Il me semble que lorsqu’une aussi bonne garnison est dans une ville, on ne doit pas craindre l’ennemi.
– Un traître dans une garnison, répondit le prieur, pourrait détruire à lui seul la sécurité d’une ville, fût-elle gardée par des légions ; et si ce traître est, soit par légèreté, soit par amour de la nouveauté ou n’importe quel autre motif, protégé et nourri par ceux qui devraient être les plus empressés à le chasser de la forteresse, chaque jour il trouvera de nouvelles occasions de faire le mal.
– Vous semblez vouloir désigner quelqu’un ici présent, père prieur, dit Douglas. Si c’est moi, vous m’injuriez à tort. Je sais que l’abbé d’Aberbrothock s’est plaint de moi, parce que je ne souffrais pas que son bétail devînt trop nombreux pour ses pâturages, ni que des monceaux de grains fissent écrouler les greniers du monastère, tandis que nos gens manquent de bœufs et leurs chevaux d’avoine. Mais il me semble que ces pâturages et ces champs si productifs ne furent point donnés par mes ancêtres au couvent d’Aberbrothock avec l’idée que leurs descendans mourraient de faim au milieu de cette abondance. Et cela ne sera pas, par sainte Brigite ! Mais quant à l’hérésie et aux fausses doctrines, ajouta le
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