La lanterne des morts
examinant après votre prétendue crise, je vous ai trouvé des flegmes et le foie engorgé par vos excès de table mais c’est beaucoup plus grave!… Non que vous soyez convulsionnaire ou malingreux, mais c’est votre esprit qui n’est point en état satisfaisant. Il ne vous manque que les cornes du diable.
Dans l’antre de l’abbé, on voyait bien des choses étranges telles des figurines transpercées d’aiguilles, des crânes qu’on avait déterrés et brûlés, des poudres de toutes couleurs et variétés, des racines encore terreuses qui devaient servir à la préparation de quelque mixture.
Valencey d’Adana désigna une main desséchée, paume en l’air:
– Et qu’est ceci qui semble curieusement demander l’aumône?
Saint-Frégant s’esclaffa:
– L'aumône !... C'est assurément la main d’un pendu, cela fait partie des outils habituels de l’apprenti sorcier.
Touché, l’abbé rétorqua:
– Je dédaigne de vous répondre, vous n’entendez rien à cela.
Le marquis de La Mellerie, qui se détendait, répliqua:
– En son état, on n’entend point moquerie sur cet article-là!
Mahé ajouta durement:
– Vous pourriez nous protester, même avec fausseté, afin que nous puissions prononcer sur votre sort après vous avoir entendu.
– Faute de quoi, poursuivit le commandant de La Terpsichore , vous nous mettez dans le cas de faire connaître la vérité à qui de droit: vos maîtres vendéens.
L'abbé semblait fléchir, La Mellerie porta l’estocade:
– Malgré tous nos défauts nous autres, aristocrates, avons souvent les idées larges mais en est-il pareillement de vos paysans qui haïssent le diable?
L'abbé frémit.
Valencey d’Adana le sentit prêt à céder:
– Allons, La Mellerie, n’insistons pas. Vous essayez de le persuader de sauver sa misérable peau quand il veut visiblement, pour se racheter au regard de Dieu, mourir brûlé vif sur le bûcher que ne manqueront pas d’ériger à son intention les bandits de la Vendée.
– C'est bon, je parlerai!… dit l’abbé d’une voix mourante.
Saint-Frégant, qui avait ouvert une fort jolie petite boîte en or, en inspecta le contenu, portant celui-ci à ses narines puis à sa langue:
– Il s’agit de cendres?
– Oui.
– À qui… ou de qui?
– Vous saurez, par le narré de cette histoire, que je fus entraîné malgré moi dans cette tragédie et…
– Au fait!… coupa Valencey d’Adana.
L'abbé reprit, soudain volubile:
– Un vieil aristocrate me donna cela en mourant et comme je l’interrogeais sur les cendres contenues dans cette boîte, il me dit la tenir de son père… Voilà plus d’un siècle, le 17 juillet de 1676, la très belle marquise de Brinvilliers fut extraite de la prison de la Conciergerie et menée sur un tombereau en place de Grève. Là, elle eut sa ravissante tête tranchée laquelle fut jetée sur un bûcher ainsi que son corps magnifique.
Voyant La Mellerie et surtout O'Shea perplexes, Valencey d’Adana expliqua:
– La marquise de Brinvilliers fut au cœur de «l’Affaire des poisons» qui ébranla le trône de Louis XIV Capet.
Il fit signe à l’abbé qui reprit:
– Après que la marquise de Brinvilliers eut été brûlée, quelques laquais se précipitèrent et volèrent des ossements qu’on réduisit en poudre. C'est bien cela que contient la petite boîte en or. De grands seigneurs s’en procurèrent et même des étrangers tel le staroste d’Adelnau, devenu palatin de Posnanie.
– Ne nous abreuve pas de détails pour mieux nous égarer!… lança Mahé qui n’aimait guère qu’on le trompât.
Saint-Frégant, comme l’abbé baissait la tête, la lui redressa d’un geste brutal:
– Tu as joué au fou, tu ne l’es point. Tu es un menteur et un médiocre comédien. Magiciens, voyantes, astrologues, faiseuses d’anges, alchimistes, faux-monnayeurs: c’est passer de la fausse science au véritable crime car vous finissez tous empoisonneurs, toi comme les autres.
– C'est faux!… hurla le prêtre.
Saint-Frégant le calma d’une gifle.
– Pour qui me prends-tu?… Je suis chirurgien de marine et fus membre de la ci-devant Société royale de médecine!
Il saisit des flacons, les porta avec prudence à son nez, les reposant avec brutalité en les énumérant:
– Antimoine, arsenic, huile de vitriol, sulfure, belladone, ciguë, poudre de cantharide, soi-disant racines de mandragores… Tu en saupoudres les aliments, le vin, les mouchoirs,
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