La lanterne des morts
les vêtements… Allons, je les connais tous, ces vilains tours-là!
Valencey d’Adana saisit l’ecclésiastique par le col de sa soutane:
– Tu nous as joué une comédie, celle du curé fou qui nous traite de «patauds» puis que saisit une crise de convulsions et de hurlements afin de créditer cette farce!… Sache que tu m’inspires une grande pitié car nous avons fait semblant de te croire depuis le début. Tu as été joué. Des armes et des vivres étaient dissimulés dans ton église, à ton insu: j’ai vu ton visage furieux, tout à l’heure. Mais ce n’est point tout: nous ne sommes pas ici par hasard. En Vendée aussi il existe des républicains… qui savent envoyer des rapports au bureau de police général. Tu dois en savoir long sur une affaire qui nous intéresse…
Il se tourna vers Mahé:
– Sinon, pourquoi Gréville nous aurait-il envoyés ici?
O'Shea saisit le prêtre par les cheveux et approcha son pistolet du front de l’homme terrorisé.
– Rebelle: tu parles ou tu meurs!
– Je parle!… souffla le prêtre.
– Eh bien parle donc!… insista O'Shea en lui donnant un coup de crosse sur l’épaule.
Le prêtre grimaça puis, d’une voix éteinte, commença son récit:
– Quelle affreuse histoire… Cette cérémonie remonte au plus obscur Moyen Âge, j’eus du courage de demeurer.
– Cesse de te vanter!… ironisa Saint-Frégant.
Le prêtre reprit:
– J’y fus une fois, une seule, devant apporter un peu des cendres de la marquise de Brinvilliers car certains, à ma grande surprise, connaissaient mon secret. C'était dans un château… La pièce était étrange, éclairée par des chandelles noires. Une comtesse d’une beauté à couper le souffle, entièrement nue, était allongée sur un matelas installé sur des chaises et un prêtre que je connais, faussement jureur pour tromper la République, disait la messe sur le ventre de cette très belle femme. N’étant point entravé ni surveillé, et libre de mes mouvements, je passai dans la pièce à côté pour fuir ma propre excitation. Là, je vis qu’on égorgeait un bébé, pris à un couple de républicains exécutés. On trempa alors une hostie dans le sang du bébé et on la déposa dans la bouche de la comtesse. Un aristocrate, flanqué d’un troisième curé, se donna du plaisir au-dessus d’une coupe de vermeil qui recueillit son sperme. Celui-ci fut alors mêlé aux menstrues de la comtesse et à ce mélange on ajouta du sang de chauve-souris mais aussi de la fleur de farine, afin de donner plus de consistance à l’ensemble. Enfin, on étala… cela… sur de petites pâtisseries aux œufs brouillés que la comtesse et son amant avalèrent sans rien laisser en buvant du vin de Sauternes. Ainsi étaient-ils assurés tous deux de vivre toujours et en la plus grande passion.
Un profond silence s’installa, les officiers de marine se trouvant comme assommés par ce récit. Puis, d’une voix froide, Valencey d’Adana demanda:
– Des noms.
– C'est que…
D’un mouvement spontané, qui leur fut commun, O'Shea et Saint-Frégant, déjà fort choqués par cette affaire, se jetèrent sur le prêtre sans retenir leurs coups.
Bien qu’il détestât ce genre de choses, fussent-elles appliquées au complice de tueurs d’enfants, Valencey d’Adana laissa faire un certain temps puis, du ton du commandement sur sa frégate:
– Il suffit.
Le visage en sang, le nez cassé et un œil virant au noir, le prêtre murmura d’une voix sifflante entre ses dents brisées:
– Grâce, messeigneurs…
– Parle!… aboya Valencey d’Adana qui ajouta: donne-nous des noms!
– Le… La comtesse s’appelle Marie-Charlotte de Juignet-Tallouart. Le prêtre qui officiait était Jean-Baptiste Daguesseau mais il fut pris par les Bleus lorsque l’armée royale passa la Loire et guillotiné peu après comme réfractaire.
– L'amant !... ordonna Mahé.
– Je l’ignore. Sur le nom de Dieu, je l’ignore. Je sais qu’il est comte car ainsi le nommait le prêtre qui le flanquait.
Valencey d’Adana et Mahé échangèrent un regard mais O'Shea fut le plus rapide:
– Eh bien décris-les tous deux.
– Le prêtre est corpulent, le visage congestionné et gonflé. Le comte est petit et sec, bel homme mais borgne.
– Mon Dieu, Blacfort!… murmura Mahé pour lui-même.
– Où est ce château?… insista Valencey d’Adana.
– Je l’ignore, monseigneur, en tout cas, je n’ai point de certitude!…
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