La lanterne des morts
difficilement soutenir son regard glacé.
– Qui est celui-là?… demanda-t-il d’une voix un peu aiguë qui faisait contraste avec son apparence redoutable.
– Quelqu’un le gêne, j’ai pensé…
– C'est moi qui pense!… coupa le chef qui ne quittait toujours pas Dawson des yeux, au point de rendre la situation presque intenable, même pour un homme chevronné tel le chef de l’espionnage anglais.
– Tu veux donc faire occire quelqu’un?… questionna le chef avec un mauvais sourire.
– C'est en effet mon vœu le plus cher!… répondit Dawson.
Le chef, qui avait dressé l’oreille, remarqua:
– Ton accent est celui d’Angleterre.
– Je ne prétends point le contraire.
– Mais ton… ennemi, lui, il est à Paris, j’espère?
– Il y sera d’ici peu.
– Ton nom.
Pris de court, impressionné par ce regard qui le pénétrait, Dawson répondit hâtivement:
– Milton… John Milton!
Le chef sourit plus franchement que précédemment:
– «John Milton», hein?… Tu en as de la chance, le même nom que l’auteur de Paradise Lost , «Le Paradis perdu», un bien grand poète… Eh oui, l’ami, même dans la canaille, il en est qui lisent, et avec attention. Tout cela est parfait, tu m’appelleras donc «Molière». Et derrière moi sont «Montaigne» et «La Boétie». Celui qui t’a fort imprudemment mené ici sera «Ronsard». Quant à elle…
Dawson l’interrompit:
– Léonore, je sais déjà cela.
Un silence s’installa. Dawson en profita pour sortir le rouleau et étaler les cinquante louis d’or en expliquant:
– Cinquante si vous acceptez. Cinquante autres demain matin pour mieux lancer l’affaire et quatre cents de plus si vous réussissez.
Molière émit un petit sifflement:
– Nom de Dieu, tu es un client respectable qui possède les moyens de ses haines. Qui donc veux-tu envoyer en enfer?
– Un officier de marine.
– Son grade?
– Capitaine de vaisseau.
– Ah, tout de même… Son nom?
Dawson hésita.
Molière soupira de manière outrée puis fit signe à l’homme au panier. Celui-ci, La Boétie, l’ouvrit et, la tenant par les cheveux, en sortit la tête d’un jeune homme qu’il posa devant Dawson tandis que Molière expliquait:
– Voici la commande d’un mari trompé qui doit d’ailleurs nous attendre dehors en cet instant afin que nous lui fournissions la preuve d’un travail bien fait. Nous sommes des hommes sérieux et le prouvons en ramenant toujours les têtes à nos clients. Tu auras celle que tu convoites, mais pas si nous ne savons de qui il s’agit car alors, comment trouver ton homme?
Bien qu’il fût horrifié par la tête coupée, Dawson sut le dissimuler. En outre, il devait bien convenir de la justesse du raisonnement de Molière.
Il fit signe qu’on enlevât la tête coupée, qui retourna dans son panier puis, à mi-voix:
– Le comte de Valencey.
Molière fronça les sourcils, répétant:
– Valencey… Valencey… Je connais ce nom…
Sachant l’explication trop courte, Dawson la compléta de mauvaise grâce:
– Joachim de Niel, comte de Valencey et prince d’Adana.
La réponse fut cinglante:
– Tu es dissimulé de manières!… John Milton, je n’apprécie guère cela. Si tu n’as pas confiance en nous, reprends ton or et va-t’en.
– J’ai confiance!… cria presque Dawson, devinant qu’il tenait enfin là les hommes dont il avait besoin.
Molière saisit un louis d’or, l’observa sur ses deux faces, y mordit puis le reposa en disant:
– Valencey d’Adana n’est point n’importe qui. Le peuple l’aime, l’idolâtre, même, sans parler de tous les marins de France qui rêvent de combattre et pour certains de mourir à ses côtés. Mais cinq cents louis, c’est tout de même fort bien payé si bien que…
Il hésita.
– Acceptez!… insista Dawson.
Molière sourit.
– C'est votre Shakespeare qui a écrit: «Être grand, c’est épouser une grande querelle.» C'est bien, j’accepte. Nous nous retrouverons ici demain matin avec les cinquante louis que tu nous as promis.
Il empocha les pièces d’or restées sur la table.
Pressé de quitter ces lieux, Dawson se leva mais Molière le retint d’un geste:
– Attends. Es-tu bien logé?
Surpris, Dawson approuva.
– Combien de chambres?
– Deux. Deux belles chambres. Pourquoi cette question?
– Jusqu’à ce que l’affaire soit achevée, Léonore ne te quittera pas un seul instant. Donne-lui l’autre chambre. Et respecte
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