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La lanterne des morts

La lanterne des morts

Titel: La lanterne des morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Frédéric H. Fajardie
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de finir sur une guillotine de province, lui que le destin semblait promettre à la dure vie de garçon de ferme, comme tant de petits bébés abandonnés?… Garçon de ferme?… Il était baron, lieutenant de marine et héros de la guerre d’Indépendance!… Certes, il ne niait pas la griserie des batailles navales, vingt-deux ans de succès aux côtés d’un capitaine toujours invaincu. Mais plus encore, son cœur se serrait en songeant aux sauvages corps à corps et toujours, toujours, Valencey d’Adana de conserver un regard sur lui et un pistolet qu’il ne déchargeait jamais: cette balle ne devait servir que si lui, Mahé, se trouvait si mal exposé que sa vie en dépendait.
    Valencey d’Adana pensait tenir là un secret bien gardé: tout l’équipage l’avait deviné et trouvait naturel que le commandant de La Terpsichore protégeât son frère.
    Frère!
    Oh comme il aimait, sans jamais oser le dire, ces tout jeunes officiers sortant des écoles de Brest, Rochefort ou Toulon et qui, se présentant à bord, lui demandaient:
    – Lieutenant, à quel instant devrais-je me présenter à monsieur votre frère?
    Il les aurait embrassés, ceux-là!
    Mahé attarda son regard vers le lit à sangles où Joachim devait également faire semblant de dormir, son bouledogue dans les bras, le long manteau bleu marine d’officier jeté sur eux et les magnifiques épaulettes d’or de capitaine de vaisseau luisant faiblement.
    Puis il songea à Marie, sa femme, une Canadienne installée dans la petite république. Jolie, le visage piqueté de taches de rousseur, il s’était intéressé à elle en apprenant qu’elle fut enfant trouvée. Ils se virent de plus en plus souvent.
    Un soir, regardant l’océan qui déroulait ses rouleaux d’écume filtrant les derniers rayons du couchant, il lui avait dit:
    – Moi aussi je suis un enfant abandonné.
    Surprise, son petit nez froncé, elle répondit:
    – Ce n’est point possible, monsieur, on ne trouve jamais de barons au porche des églises!
    – Baron, parfois, on le devient…
    Et, disant cela, il observa un singe-hurleur qui lui adressait toutes sortes de signes depuis une branche basse et décida d’y voir un encouragement. Il reprit:
    – Oui, baron on le devient… et baronne aussi si tu m’aimes comme je t’aime.
    Deux enfants étaient nés.
    Il soupira.
    Il laissait à ses «trois chéris» un nom sans tache, et même assez glorieux, un plein sac d’or anglais, au moins deux kilos, et, en France, le vieux manoir des Campagne-Ampillac.
    Oui, il avait réussi sa vie et si l’occasion par impossible lui en était cependant donnée, il la referait à l’identique tant il avait connu de bonheurs que sa condition première lui avait fait apprécier davantage que les autres, nantis par la naissance.
    Rêveur, il observa le plafond et finit par s’endormir.
    Partageant son lit à sangles avec le chien La Fayette qui ronflait comme un sonneur, lové contre sa poitrine, Joachim de Niel, comte de Valencey et prince d’Adana, songea: «Tudieu, ce chien pue!… Plus je le lave et plus il pue!… En outre, sa peau est vilaine, il a des oreilles de chauve-souris, sa couleur est mi-corbeau, mi-rat, il est trop court sur pattes, il ronfle et il pète du matin au soir… Lorsqu’il ne pète point, il grogne dans son jargon de chien. Pourquoi me suis-je pris à l’aimer?… Est-ce parce qu’il ne semble voir que moi?… Mais demain, tu seras sans maître, mon pauvre La Fayette!…»
    L'idée d’un bilan de sa vie agaçait Valencey d’Adana qui pensa: «Je ne suis pas épicier, que diable, à quoi bon des comptes?»
    Il consacra cependant une à deux minutes à songer à ces vingt-deux ans où il fut officier de marine. Il pensa avoir sauvegardé l’essentiel en combattant dans l’honneur et avec humanité. Il avait certes lâché la monarchie, chose entendue, mais la monarchie avait d’abord lâché le peuple. Et puis quelle importance, à présent?
    Au chapitre des regrets figurait de ne pas avoir mené ses hommes contre Blacfort. Ils s’y étaient tous tant préparés, avaient tant répété, défilé des milliers de fois, fiers à l’idée de servir la République pourtant éloignée de milliers de kilomètres.
    Mais son plus profond regret restait Victoire, son grand amour, sa «chère âme».
    Il se leva tout doucement, sans réveiller La Fayette, et s’approcha de la fenêtre.
    À travers les barreaux, il vit l’aube poindre et une légère défaillance

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