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La lanterne des morts

La lanterne des morts

Titel: La lanterne des morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Frédéric H. Fajardie
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le prit. Il murmura:
    – Ma dernière aube… La dernière aube du dernier prince d’Adana mais surtout du plus malheureux des amoureux que la terre portât jamais.
    Il se retourna et jeta un regard amusé à son bouledogue qui dormait sur le dos, les quatre fers en l’air, un croc dépassant d’une babine.
    Il allongea le bras et lui donna une caresse sur la joue à laquelle l’animal apporta une double réponse: un grognement vaguement satisfait suivi d’un pet énergique.
    Puis il s’approcha de la table à peine éclairée par la lueur laiteuse de l’aube. Il saisit une plume en murmurant:
    – Tudieu, comme c’est difficile…
    Il savait parfaitement que cette lettre n’avait pas de sens, qu’elle ne traduirait pas un millième de son amour pour Victoire, mais pouvait-il quitter ce monde sans lui laisser au moins un petit billet?
    Il conserva son écriture un peu hâtée, celle des rapports et des livres de bord, assez jolie, au reste. Celle qui griffonnait en toute hâte des plans de batailles.
    Victoire, ma bien-aimée, mon grand amour,
    Après m’avoir si longtemps souri, le sort des armes m’est cette fois défavorable et je survivrai bien peu à l’écriture de cette lettre.
    Depuis que nous sommes enfants, je t’aime, mon cher cœur. Je t’aime si fort qu’aujourd’hui encore, pareil amour me terrorise davantage, par sa force irrésistible, que le sort peu enviable qui m’attend.
    Sache cela: bien que tu fusses sous mes yeux chaque jour pendant les longues années de notre jeunesse, ta simple apparition me nouait le ventre et me serrait le cœur dans une poigne de fer. La nuit, j’en pleurais de tant t’aimer et, en un quart de siècle, je n’ai pas changé sur ce chapitre. En mer, quand les sanglots me venaient, que je savais ne pouvoir les retenir, j’échappais brusquement et sans un mot à mes officiers et allais à la proue de ma frégate où les larmes se mêlaient aux embruns.
    Le plus affreux, dans notre histoire, c’est que je n’ignore pas tes sentiments pour moi, enfin, jusqu’à ces derniers temps.
    Pourquoi, bel amour, avons-nous eu si peu de chance?… À la fin de la guerre d’Indépendance américaine, j’avais terrassé mes fantômes et brûlais de rentrer en France pour t’épouser enfin. C'est l’instant que choisit le «gros cochon» qui nous servait de roi pour m’interdire le royaume. Lui!… Justement lui dont on sait aujourd’hui qu’il était inconstant, versatile et avait si peu de caractère montra une résolution inébranlable dans mon affaire: comment de telles choses sont-elles possibles?
    J’ai aimé La Terpsichore , la vie sur mer, la proximité de Mahé, «monsieur mon frère», mes officiers devenus mes amis, mes courageux marins, les causes justes que j’ai défendues le sabre à la main, de la guerre d’Indépendance à la Révolution. Mais pourtant, tout cela que je ne renie surtout pas valait-il un seul de tes regards?
    Comme toujours, lorsque disparaît un homme qui s’éleva par ses actions dans l’estime publique, il se trouvera des êtres vils pour tenter de salir mon nom. Ne les crois pas. Je me suis battu avec humanité, j’ai aidé les vaincus, j’ai fait grâce chaque fois que la chose était possible.
    Je n’ai jamais éprouvé d’amour pour une autre que toi mais je mourrai l’âme en repos en te disant ceci: j’ai parfois été faible. Avec quatre femmes – en quarante ans! – qui furent fort brièvement mes maîtresses. De La Désirade à Santiago et de Boston à La Jamaïque. Elles furent lingère, serveuse de cabaret, veuve d’un notaire et servante. De gracieuses passantes informées dès le premier instant de ton existence et que mon cœur était à jamais captif. Elles acceptèrent de n’être que des consolatrices et qui sait si moi-même je ne tins pas ce rôle pour elles?… Ainsi est la vie, si cruelle, parfois si déchirante de solitude qu’on ne résiste pas aux bras qui s’ouvrent pour accueillir votre détresse. Pardon mille fois si j’ai mal fait et t’ai déçue.
    Le jour est déjà bien levé, ma mort approche à grands pas, je suis dans l’obligation, hélas, de me montrer fort ennuyeux par l’expression de mes dernières volontés. Étant l’ultime prince d’Adana, sans aucune descendance, par la présente, je te lègue ma fortune, châteaux, fermes et terres. Je serais heureux que tu ouvres ta porte et mettes une assiette à la cuisine si, d’aventure, un ancien marin de La

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