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La lanterne des morts

La lanterne des morts

Titel: La lanterne des morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Frédéric H. Fajardie
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semaines, Fouquier-Tinville venait d’obtenir les têtes de dix-neuf Girondins d’une certaine importance, dont trois avaient voté la mort du roi.
    Blacfort tenait la vengeance des royalistes et il ne doutait pas que la rumeur de son exploit courrait jusque dans les rangs des émigrés.
    Dissimulés par la toile allant des planches de bois aux pavés, ils se tenaient nus, avec Mme de Juignet-Tallouart, debout dans un grand baquet de bois placé sous le plancher de l’échafaud. Habilement, Bradet avait agrandi une fente du parquet et c’est vers elle que de son balai il dirigeait tout ce flot de sang. Pour chaque tête, plusieurs litres rouges, bouillonnant et jaillissant des artères sectionnées.
    Dix-neuf fois!
    Ruisselant, Blacfort et sa maîtresse pataugeaient dans le sang jusqu’aux genoux.
    Il avait réussi cela, lui et nul autre: se baigner dans le sang révolutionnaire, boire jusqu’à l’écœurement ce liquide au goût lourd et douceâtre qui avait été la vie même des régicides!
    Quel exploit!… Quel symbole!…
    Mais il fit mieux encore: la dernière tête tombée, il enfila un pantalon de sans-culottes tandis que sa maîtresse passait une vilaine robe de toile. Sans se cacher, ils écartèrent la toile et sortirent de sous l’échafaud sous les regards stupéfaits des gardes nationaux et des spectateurs.
    Inspiré, une main sur le cœur, Blacfort déclama:
    – Oui, je suis arrosé du sang des traîtres, de ceux qui vendaient la patrie aux despotes étrangers et à leurs esclaves. Peuple de Paris, il y en a un plein baquet: va t’y baigner, désaltère-t’en, purifie-toi en buvant le sang des vampires dont les complices nous assaillent aux frontières.
    Un grand silence stupéfait succéda à ces paroles, puis ce fut une ovation et une bousculade vers le baquet contenant le sang des «traîtres à la patrie».
    Une bousculade à la faveur de laquelle Blacfort et sa maîtresse gagnèrent directement une voiture aux rideaux baissés qui les attendait à moins de trois cents mètres.
    1 Membre du Comité de salut public, très proche de Robespierre, guillotiné en même temps que «l’Incorruptible» et Saint-Just.

33
    Promis à la guillotine pour midi, ils dormirent peu et certains pas du tout.
    Seul le curé, soit qu’il fût en paix avec Dieu, soit par manque d’imagination, ronfla une bonne partie de la nuit tandis que les autres revoyaient leur vie, murés dans le silence.
    Le commodore John O'Shea, commandant de la frégate Ask For The Moon ne regrettait rien, si ce n’est de mourir aussi bêtement dans cette petite ville française.
    Il avait connu le grand bonheur de voir son pays briser ses chaînes et en finir avec l’exploitation que l’Angleterre faisait subir au Nouveau Monde.
    L'aventure avec Valencey d’Adana illumina également son existence au point que, la paix venue, il ne put se résoudre à vivre régulièrement dans son pays, passant plus de temps dans «la petite république» fondée par le prince à partir de son ancienne «base». Là était sa véritable vie, au milieu de ses compagnons d’armes et parmi toutes ces femmes de la colonie: Françaises, Américaines, Anglaises, Espagnoles, Canadiennes, Noires, Indiennes, Créoles… Ah, l’idée diabolique de Valencey d’Adana: à peine un navire saisi, parfois avec violence, on invitait les femmes à venir se reposer une semaine dans ce que certains appelaient «la colonie». Après quoi, elles seraient conduites aux États-Unis. La grande majorité, dont des femmes mariées, préférait demeurer dans ce paradis de verdure exotique où les marins français, formés à l’école du prince, déployaient des trésors de courtoisie.
    John O'Shea revit certains visages et s’endormit peu avant l’aube, un sourire aux lèvres…
    Mahé, enroulé dans une mauvaise couverture et couché sur une paillasse, ne regrettait absolument rien si ce n’est, lui aussi, de finir ainsi, tué par ceux de son camp sur le caprice d’un fou qui se vengeait de sa terne existence.
    Il jeta un regard circulaire sur la cellule: un tonneau pour la toilette, une table pliante, quatre vilaines chaises, une commode à trois pieds, une cuvette, un pot de faïence ébréché, trois paillasses et le lit à sangles de Valencey d’Adana, le seul qui eût accepté de dormir sur «cette chose» beaucoup trop dure.
    Le prince d’Adana, celui qui si souvent l’appelait avec tendresse «monsieur mon frère»!… Qu’importait aujourd’hui

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