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La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak

La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak

Titel: La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Charles De Coster
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brocart jaune, elle vit l’infant qui, sans se
lever de son banc, lui dit :
    – Madame, ne vous pourriez-vous arrêter un moment ?
    Impatiente comme une cavale empêchée en son élan, au moment où
elle va courir au bel étalon hennissant dans la prairie, elle
répondit :
    – Altesse, chacune ici doit obéir à votre princière volonté.
    – Asseyez-vous près de moi, dit-il.
    Puis, la regardant paillardement, durement et cauteleusement, il
dit :
    – Récitez-moi le
Pater
en langue flamande ; on me
l’apprit, mais je l’oubliai.
    La pauvre dame alors de dire un
Pater
et lui de
l’engager à le dire plus lentement.
    Et ainsi, il força cette pauvrette d’en dire jusques à dix, elle
qui croyait l’heure venue de réciter d’autres
oremus
.
    Puis, la louangeant, il lui parla de ses beaux cheveux, de son
teint vif, de ses yeux clairs, mais il n’osa rien lui dire de ses
épaules charnues, ni de sa gorge ronde, ni de rien autre chose.
    Quand elle crut pouvoir s’en aller et déjà regardait dans la
cour où l’attendait son seigneur, il lui demanda si elle savait
bien ce que sont les vertus de la femme.
    Comme elle ne répondait point de peur de mal dire, il parla pour
elle et la patrocinant, il dit :
    – Vertus de femme, c’est chasteté, soin d’honneur et prude
vie.
    Il lui conseilla aussi de se vêtir décemment et de bien cacher
tout ce qui était à elle. Elle fit signe de la tête que oui,
disant :
    – Que pour Son Altesse Hyperboréenne, elle se couvrirait plutôt
de dix peaux d’ours que d’une aune de mousseline.
    L’ayant fait quinaud par cette réponse, elle s’enfuit
joyeuse.
    Cependant le feu de jeunesse était aussi allumé dans la poitrine
de l’infant, mais ce n’était point ce feu ardent qui pousse aux
hauts faits les fortes âmes, ni le doux feu qui fait pleurer les
tendres cœurs, c’était un sombre feu venu d’enfer où Satan l’alluma
sans doute. Et il brillait dans ses yeux gris, comme en hiver la
lune sur un charnier. Et il le brûlait cruellement.
    Se sentant sans amour pour les autres, le pauvre sournois
n’osait s’offrir aux dames : il allait alors dans un petit
coin écarté, en une petite chambre crépie à la chaux, éclairée par
d’étroites fenêtres où, d’habitude, il grugeait ses pâtisseries et
où les mouches venaient en foule à cause des miettes. Là, se
caressant lui-même, il leur écrasait lentement la tête contre les
vitres et il en tuait des centaines, jusqu’à ce que ses doigts
tremblassent trop fort pour qu’il pût continuer sa rouge besogne.
Et il prenait un vilain plaisir à ce cruel délassement, car
lasciveté et cruauté sont deux sœurs infâmes. Il sortait de ce
réduit plus triste qu’auparavant et chacun et chacune fuyaient,
quand ils le pouvaient, la face de ce prince pâle comme s’il se fût
nourri de champignons de plaies.
    Et la dolente Altesse souffrait, car mauvais cœur c’est
douleur.

XXVI
     
    La belle gentille-femme quitta un jour Valladolid pour aller en
son château de Dudzeele en Flandre.
    Passant par Damme suivie de son gras sommelier, elle vit assis
contre le mur d’une chaumine, un jeune gars de quinze ans soufflant
dans une cornemuse. En face de lui se tenait un chien roux qui,
n’aimant point cette musique, hurlait mélancoliquement. Le soleil
luisait clair. À côté du jeune gars était debout une fillette
mignonne éclatant de rire à chaque piteux hurlement du chien.
    La belle dame et le gras sommelier, passant devant la chaumine,
regardèrent Ulenspiegel soufflant, Nele riant et Titus Bibulus
Schnouffius hurlant.
    – Mauvais garçon, dit la dame parlant à Ulenspiegel, ne
pourrais-tu cesser de faire ainsi hurler ce pauvre
rousseau ?
    Mais Ulenspiegel, la regardant, enflait plus vaillamment sa
cornemuse. Et Bibulus Schnouffius hurlait plus mélancoliquement et
Nele éclatait de rire davantage.
    Le sommelier, entrant en colère, dit à la dame en désignant
Ulenspiegel :
    – Si je frottais du fourreau de mon épée cette graine de pauvre
homme, il cesserait de mener cet insolent tapage. Ulenspiegel
regarda le sommelier, l’appela Jan Papzak, à cause de sa bedaine,
et continua de souffler dans sa cornemuse. Le sommelier marcha sur
lui en le menaçant du poing, mais Bibulus Schnouffius se jeta sur
lui et le mordit à la jambe, le sommelier tomba de peur en
criant :
    – À l’aide !
    La dame souriant dit à Ulenspiegel :
    – Ne me pourrais-tu pas, cornemuseux, dire si le chemin

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