La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak
entre princes de s’entraider contre les peuples.
Charles s’arrêta longtemps à Valenciennes sans donner nul signe
de fâcherie. Gand, sa mère, vivait sans crainte en la croyance que
l’empereur, son fils, lui pardonnerait d’avoir agi selon le
droit.
Charles arriva sous les murs de la ville avec quatre mille
chevaux. D’Albe l’accompagnait, comme aussi le prince d’Orange. Le
menu peuple et ceux des petits métiers eussent bien voulu empêcher
cette entrée filiale et mettre sur pied les quatre-vingt mille
hommes de la ville et du plat pays ; les gros bourgeois ;
dits
hoog-poorters
, s’y opposèrent par crainte de la
prédominance du populaire. Gand eût pu cependant ainsi hacher menu
son fils et ses quatre mille chevaux. Mais elle l’aimait, et les
petits métiers eux-mêmes avaient repris confiance.
Charles l’aimait aussi, mais pour l’argent qu’il avait d’elle en
ses coffres et qu’il voulait avoir encore.
S’étant rendu maître de la ville, il établit partout des postes
militaires, fit vaquer, par Gand, des rondes de nuit et de jour.
Puis il prononça, en grand apparat, la sentence de la ville.
Les plus notables bourgeois durent, la corde au cou, venir
devant son trône, faire amende honorable ; Gand fut déclarée
coupable des crimes les plus coûteux, qui sont : déloyauté,
infraction aux traités, désobéissance, sédition, rébellion et
lèse-majesté. L’empereur déclara abolis tous et quelconques
privilèges, droits, franchises, coutumes et usages ; stipulant
en engageant l’avenir, comme s’il eût été Dieu, que dorénavant ses
successeurs à leur venue à seigneurie jureraient de ne rien
observer, sinon la
Caroline Concession
de servitude
octroyée par lui à la ville.
Il fit raser l’abbaye de Saint-Bavon, pour y ériger une
forteresse, d’où il pût, à l’aise, percer de boulets le sein de sa
mère.
En bon fils pressé d’hériter, il confisqua tous les biens de
Gand, revenus, maisons, artillerie, munitions de guerre.
La trouvant trop bien défendue, il fit abattre la Tour Rouge, la
tour au Trou de Crapaud, la Braampoort, la Steenpoort, la
Waalpoort, la Ketelpoort et bien d’autres ouvrées et sculptées
comme bijoux de pierre.
Quand, après, les étrangers venaient à Gand, ils
s’entredisaient :
– Quelle est cette ville plate et désolée dont on chantait
merveille ?
Et ceux de Gand répondaient :
– L’empereur Charles vient d’ôter à la ville sa précieuse
ceinture.
Et ce disant, ils avaient honte et colère. Et des ruines des
portes l’empereur tirait des briques pour sa forteresse.
Il voulait que Gand fût pauvre, car ainsi elle ne pourrait par
labeur, industrie ni argent, s’opposer à ses fiers desseins ;
il la condamna donc à payer sa part refusée de l’aide de quatre
cent mille florins carolus d’or, et de plus, cent cinquante mille
carolus pour une fois et chaque année six mille autres en rentes
perpétuelles. Elle lui avait prêté de l’argent : il devait lui
en payer une rente de cent cinquante livres de gros. Il se fit, par
force, remettre les titres de la créance, et payant ainsi sa dette,
il s’enrichit réellement.
Gand l’avait, en maintes occasions, aimé et secouru, mais il lui
frappa le sein d’un poignard, y cherchant du sang, parce qu’il n’y
trouvait pas assez de lait.
Puis il regarda
Roelandt
, la belle cloche, fit pendre à
son battant celui qui avait sonné l’alarme pour appeler la ville à
défendre son droit. Il n’eut point pitié de Rœlandt, la langue de
sa mère, la langue par laquelle elle parlait à la Flandre ;
Rœlandt, la fière cloche, qui disait d’elle-même :
Als men my slaet dan is ‘t brandt.
Als men my luyt dan is ‘t storm in
Vlaenderlandt.
Quand je tinte, c’est qu’il brûle
Quand je sonne, c’est qu’il y a tempête au pays de Flandre.
Trouvant que sa mère parlait trop haut, il enleva la cloche. Et
ceux du plat pays dirent que Gand était morte parce que son fils
lui avait arraché la langue avec des tenailles de fer.
XXIX
Ces jours-là, qui furent jours de printemps clairs et frais,
lorsque la terre est en amour, Soetkin cousait près de la fenêtre
ouverte, Claes fredonnait quelque refrain, tandis qu’Ulenspiegel
avait coiffé Titus Bibulus Schnouffius d’un couvre-chef judiciaire.
Le chien jouait des pattes comme s’il eût voulu rendre un arrêt,
mais c’était pour se débarrasser de sa coiffure.
Soudain, Ulenspiegel ferma la
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