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La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak

La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak

Titel: La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Charles De Coster
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n’a
point change qui mène de Damme a Dudzeele ?
    Ulenspiegel, ne cessant de jouer, hocha la tête et regarda la
dame.
    – Qu’as-tu à me regarder si fixement ? demanda-t-elle.
    Mais lui, jouant toujours, écarquillait les yeux comme s’il fût
ravi en extase d’admiration. Elle lui dit :
    – N’as-tu pas de honte, jeune comme tu es, de regarder ainsi les
dames ?
    Ulenspiegel rougit un peu, souffla encore et la regarda
davantage.
    – Je t’ai demandé, reprit-elle, si le chemin n’a point changé
qui mène de Damme à Dudzeele ?
    – Il ne verdoie plus depuis que vous le privâtes de l’heur de
vous porter, repartit Ulenspiegel.
    – Veux-tu me conduire ? dit la dame.
    Mais Ulenspiegel restait assis, la regardant toujours. Et elle,
si espiègle qu’elle le vît, sachant que son jeu était tout de
jeunesse, lui pardonnait volontiers. Il se leva et allait rentrer
chez lui.
    – Où vas-tu ? demanda-t-elle.
    – Mettre mes plus beaux habits, répondit-il.
    – Va, dit la dame.
    Elle s’assit alors sur le banc, près du pas de la porte ;
le sommelier fit comme elle. Elle voulut parler à Nele, mais Nele
ne lui répondit pas, car elle était jalouse.
    Ulenspiegel revint bien lavé et vêtu de futaine. Il avait bonne
mine sous son accoutrement de dimanche, le petit homme.
    – T’en vas-tu vraiment avec cette belle dame ? lui demanda
Nele.
    – Je reviendrai bientôt, répondit Ulenspiegel.
    – Si j’allais à ta place ? dit Nele.
    – Non, dit-il, les chemins sont boueux.
    – Pourquoi, dit la dame fâchée et jalouse pareillement,
pourquoi, petite fillette, veux-tu l’empêcher de venir avec
moi ?
    Nele ne lui répondit point, mais de grosses larmes sourdirent de
ses yeux et elle regardait tristement et avec colère la belle
dame.
    Ils se mirent à quatre en route, la dame assise comme une reine
sur sa haquenée blanche, harnachée de velours noir ; le
sommelier dont la marche secouait la bedaine ; Ulenspiegel
tenant par la bride la haquenée de la dame, et Bibulus Schnouffius
marchant à côté de lui, la queue en l’air fièrement.
    Ils chevauchèrent et cheminèrent ainsi pendant quelque temps,
mais Ulenspiegel n’était point à l’aise ; muet comme un
poisson, il aspirait la fine odeur de benjoin qui venait de la dame
et regardait du coin de l’œil tous ses beaux ferrets, bijoux rares
et pardilloches, et aussi son doux air, ses yeux brillants, sa
gorge nue et ses cheveux que le soleil faisait brillants comme une
coiffe d’or.
    – Pourquoi, dit-elle, parles-tu si peu, mon petit
homme ?
    Il ne répondit point.
    – Tu n’as pas tellement ta langue dans tes souliers que tu ne
saches pas t’acquitter pour moi d’un message ?
    – Voire, dit Ulenspiegel.
    – Il faut, dit la dame, me quitter ici et aller à Koolkercke, de
l’autre côté du vent, dire à un gentilhomme vêtu de noir et de
rouge, mi-parti, qu’il ne doit point m’attendre aujourd’hui, mais
venir dimanche, à dix heures de nuit, en mon château, par la
poterne.
    – Je n’irai pas ! dit Ulenspiegel.
    Pourquoi ? demanda la dame.
    – Je n’irai pas, non ! dit encore Ulenspiegel.
    La dame lui dit :
    – Qu’est-ce donc, petit coq tout fâché, qui t’inspire cette
volonté farouche ?
    – Je n’irai pas ! dit Ulenspiegel.
    – Mais si je te donnais un florin ?
    – Non ! dit-il.
    – Un ducat ?
    – Non.
    – Un carolus ?
    – Non, dit encore Ulenspiegel. Et cependant, ajouta-t-il en
soupirant, je l’aimerais mieux qu’une coquille de moule dans le
cuiret maternel.
    La dame sourit, puis tout à coup s’écria.
    – J’ai perdu mon aumônière belle et rare, faite de drap de soie
et brodée de perles fines ! À Damme, elle pendait encore à ma
ceinture.
    Ulenspiegel ne bougea pas, mais le sommelier s’avança vers la
dame :
    – Madame, lui dit-il, n’envoyez point à sa recherche ce jeune
larron, car vous ne le reverriez jamais.
    – Et qui donc ira ? demanda la dame.
    – Moi, répondit-il, malgré mon grand âge.
    Et il s’en fut. Midi sonnait, la chaleur était grande, profonde
la solitude ; Ulenspiegel ne disait mot, mais il ôta son
pourpoint neuf pour que la dame pût s’asseoir à l’ombre sous un
tilleul, sans craindre la fraîcheur de l’herbe. Il restait debout
près d’elle, soupirant.
    Elle le regarda et se sentit pitoyable pour ce petit bonhomme
craintif, et lui demanda s’il n’était point fatigué de rester ainsi
debout sur ses jambes trop jeunes. Il ne

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