La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak
plaisaient à son esprit extravagant. Si
j’eus, comme elle dit, les bras froids et le corps frais, c’était
un signe de jeunesse, non de sorcellerie. Aux œuvres d’amour
fraîcheur ne dure. Mais Katheline voulut croire ce qu’elle
désirait, et me prendre pour un diable nonobstant que je sois homme
en chair et en os, tout comme vous qui me regardez. Elle seule est
coupable : me prenant pour un démon et m’acceptant en sa
couche, elle pécha d’intention et de fait contre Dieu et le
Saint-Esprit. C’est elle donc, et non moi, qui commit le crime de
sorcellerie, elle qui est passible du feu, comme une sorcière
enragée et malicieuse qui veut se faire passer pour folle, afin de
cacher sa malice.
Mais Nele :
– L’entendez-vous, dit-elle, le meurtrier ? il a fait comme
fille à vendre, portant rouelle au bras, métier et marchandise
d’amour. L’entendez-vous ? il veut pour se sauver, faire
brûler celle qui lui donna tout.
– Nele est méchante, disait Katheline, ne l’écoute point, Hans,
mon aimé.
– Non, disait Nele, non, tu n’es pas homme : tu es un
diable couard et cruel. Et prenant Katheline dans ses bras :
Messieurs les juges, s’exclama-t-elle, n’écoutez point ce pâle
méchant : il n’a qu’un désir, c’est de voir brûler ma mère,
qui ne commit d’autre crime que d’être frappée par Dieu de folie,
et de croire réels les fantômes de ses rêves. Elle a déjà bien
souffert dans son corps et dans son esprit. Ne la faites point
mourir, messieurs les juges. Laissez l’innocente vivre en paix sa
triste vie.
Et Katheline disait :
– Nele est méchante, il ne faut point la croire. Hans, mon
seigneur.
Et dans le populaire, les femmes pleuraient et les hommes
disaient :
– Grâce pour Katheline.
Le bailli et les échevins rendirent leur sentence au sujet de
Joos Damman, sur un aveu qu’il fit après de nouvelles
tortures : il fut condamné à être dégradé de noblesse et brûlé
vif à petit feu jusqu’à ce que mort s’ensuivît, et souffrit le
supplice le lendemain devant les bailles de la maison commune,
disant toujours : « Faites mourir la sorcière, elle seule
est coupable ! maudit soit Dieu ! mon père tuera les
juges ! » Et il rendit l’âme.
Et le peuple disait :
– Voyez-le maudissant et blasphémateur : il trépasse comme
un chien.
Le lendemain, le bailli et les échevins rendirent leur sentence
au sujet de Katheline, qui fut condamnée à subir l’épreuve de l’eau
dans le canal de Bruges. Surnageant, elle serait brûlée comme
sorcière ; allant au fond, et en mourant, elle serait
considérée comme étant morte chrétiennement, et comme telle inhumée
au jardin de l’église, qui est le cimetière.
Le lendemain, tenant un cierge, nu-pieds et vêtue d’une chemise
de toile noire, Katheline fut conduite jusqu’au bord du canal, le
long des arbres, en grande procession. Devant elle marchaient,
chantant les prières des morts, le doyen de Notre-Dame ses
vicaires, le bedeau portant la croix, et derrière, les bailli de
Damme, échevins, greffiers, sergents de la commune, prévôt bourreau
et ses deux aides. Sur les bords était une grande foule de femmes
pleurant et d’hommes grondant, par pitié pour Katheline, qui
marchait comme un agneau se laissant conduire sans savoir où il va,
et toujours disant :
– Ôtez le feu, la tête brûle ! Hans, où es-tu ?
Se tenant au milieu des femmes, Nele criait :
– Je veux être jetée avec elle.
Mais les femmes ne la laissaient point s’approcher de
Katheline.
Un aigre vent soufflait de la mer ; du ciel gris tombait
dans l’eau du canal grêle fine ; une barque était là, que le
bourreau et ses valets prirent au nom de Sa Royale Majesté. Sur
leur commandement, Katheline y descendit ; le bourreau y fut
vu debout, la tenant et au signal du prévôt levant sa verge de
justice, jetant Katheline dans le canal : elle se débattit,
mais non longtemps, et alla au fond ayant crié :
– Hans ! Hans ! à l’aide !
Et le populaire disait : Cette femme n’est point
sorcière.
Des hommes se jetèrent dans le canal et en tirèrent Katheline
hors de sens et rigide comme une morte. Puis elle fut menée dans
une taverne et placée devant un grand feu ; Nele lui ôta ses
habits et son linge mouillés pour lui en donner d’autres ;
quand elle revint à elle, elle dit, tremblant et claquant des
dents :
– Hans, donne-moi un manteau de laine.
Et Katheline ne put se
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