La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak
mangeant
bien. Quant à ces mignonnes commères, je leur délivre par capitaine
permission toute liberté de corps, leur disant que ce m’est tout un
si elles veulent garder leurs amis qui vinrent avec elles sur le
navire, ou faire élection de quelque brave Gueux ici présent pour
leur tenir matrimoniale compagnie.
Mais toutes les gentes commères furent fidèles à leurs amis,
sauf une toutefois, laquelle souriant et regardant Lamme, lui
demanda s’il voulait d’elle :
– Grâces vous soient rendues, mignonne, dit-il, mais je suis
d’ailleurs empêché.
– Il est marié, le bonhomme, dirent les Gueux voyant la commère
dépitée.
Mais elle, lui tournant le dos, en choisit un autre ayant, comme
Lamme, bonne bedaine et bonne trogne.
Il y eut ce jour-là et les suivants à bord des navires grandes
noces et festins de vins, de volailles et de viande. Et Ulenspiegel
dit :
– Vive le Gueux ! Soufflez, aigre bise, nous échaufferons
l’air de notre haleine. Notre cœur est de feu pour la libre
conscience de feu notre estomac pour les viandes de l’ennemi.
Buvons le vin, le lait des mâles. Vive le Gueux !
Nele buvait aussi dans un grand hanap d’or, et rouge au souffle
du vent, faisait glapir le fifre. Et nonobstant le froid, les Gueux
mangeaient et buvaient joyeusement sur le pont.
XVIII
Soudain toute la flotte vit sur le rivage un noir troupeau parmi
lequel brillaient des torches et reluisaient des armes ; puis
les torches furent éteintes, et une grande obscurité régna.
Les ordres de l’amiral transmis, le signal d’alerte fut donné
sur les vaisseaux : et tous les feux s’éteignirent ;
matelots et soudards se couchèrent à plat ventre, armés de haches,
sur les ponts. Les canonniers vaillants, tenant leur lance,
veillaient auprès des canons chargés de sacs à balles et de boulets
à chaînes. Aussitôt que l’amiral et les capitaines
crieraient : « Cent pas ! » – ce qui
indiquerait la position de l’ennemi, – ils devaient faire feu de
l’avant, de la poupe ou du bord, suivant leur position en la
glace.
Et la voix de messire Worst fut entendue disant :
– Peine de mort à qui parle hautement !
Et les capitaines dirent après lui :
– Peine de mort à qui parle hautement !
La nuit était sans lune, étoilée.
– Entends-tu ? disait Ulenspiegel à Lamme, parlant comme
souffle de fantôme. Entends-tu la voix de ceux d’Amsterdam, et le
fer de leurs patins faisant crier la glace ? Ils vont vite. On
les entend parler. Ils disent : « Les Gueux fainéants
dorment. À nous le trésor de Lisbonne ! » Ils allument
des torches. Vois-tu leurs échelles pour l’assaut, et leurs laides
faces et la longue ligne de leur bande d’attaque ? Ils sont
mille et davantage.
– Cent pas ! cria messire Worst.
– Cent pas ! crièrent les capitaines.
Et il y eut un grand bruit comme tonnerre et hurlements
lamentables sur la glace.
– Quatre-vingts canons tonnent à la fois ! dit
Ulenspiegel ! Ils fuient. Vois-tu les torches
s’éloigner ?
– Poursuivez-les ! dit l’amiral Worst.
– Poursuivez ! dirent les capitaines.
Mais la poursuite dura peu, les fuyards ayant une avance de cent
pas et des jambes de lièvres peureux.
Et sur les hommes criant et mourant sur la glace, furent trouvés
de l’or, des bijoux et des cordes pour en lier les Gueux.
Et après cette victoire, les Gueux s’entre-disaient :
Als God met ons is, wie tegen ons zal zijn ?
« Si Dieu est avec nous, qui sera contre nous ! Vive le
Gueux ! »
Or, le matin du troisième jour, messire Worst, inquiet,
attendait une nouvelle attaque : Lamme sauta sur le pont, et
dit à Ulenspiegel :
– Mène-moi auprès de cet amiral qui ne te voulut point écouter
quand tu fus prophète de gelée.
– Va sans qu’on te mène, dit Ulenspiegel.
Lamme s’en fut, fermant à clef la porte de la cuisine. L’amiral
se tenait sur le pont, cherchant de l’œil s’il n’apercevait point
quelque mouvement du côté de la ville.
Lamme s’approchant de lui :
– Monseigneur amiral, dit-il, un humble Maître-Queux peut-il
vous donner un avis ?
– Parle, mon fils, dit l’amiral.
– Monseigneur, dit Lamme, l’eau dégèle dans les cruches ;
les volailles redeviennent tendres ; le saucisson perd sa
moisissure de givre ; le beurre est onctueux, l’huile
liquide ; le sel pleure. Il pleuvra bientôt, et nous serons
sauvés, monseigneur.
– Qui es-tu ? demanda messire Worst.
– Je
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