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La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak

La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak

Titel: La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Charles De Coster
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moment, le sculpteur, ne voyant autour de lui que des
faces d’ennemis espagnols, songea à Flandre, la terre des mâles,
croisa les bras, et, traînant sa longue chaîne derrière lui, marcha
vers la paille et les fascines enflammées et s’y mettant debout en
croisant les bras :
    – Voilà, dit-il, comment les Flamands meurent en face des
bourreaux espagnols. Coupez les pieds, non à moi, mais à eux, afin
qu’ils ne courent plus aux meurtres ! Vive Flandre !
Flandre pour l’éternité !
    Et les dames l’applaudissaient, criant grâce en voyant sa fière
contenance.
    Et il mourut.
    La reine Marie tressaillait de tout son corps, elle pleura, ses
dents claquèrent du froid de mort prochaine, et elle dit,
raidissant bras et jambes :
    – Mettez-moi dans mon lit, que j’aie chaud.
    Et elle mourut.
    Et ainsi, suivant la prédiction de Katheline, la bonne sorcière,
Philippe semait partout mort, sang et larmes.

XXXI
     
    Mais Ulenspiegel et Nele s’aimaient d’amour.
    On était alors à la fin d’avril, tous les arbres en fleurs,
toutes les plantes gonflées de sève attendaient Mai, qui vient sur
la terre accompagné d’un paon, fleuri comme un bouquet et fait
chanter les rossignols dans les arbres.
    Souvent Ulenspiegel et Nele erraient à deux par les chemins.
Nele se tenait au bras d’Ulenspiegel et de ses mains s’y
accrochait. Ulenspiegel, prenant plaisir à ce jeu, passait souvent
son bras autour de la taille de Nele, pour la mieux tenir,
disait-il. Et elle était heureuse, mais elle ne parlait point.
    Le vent roulait mollement sur les chemins le parfum des
prairies ; la mer au loin mugissait au soleil,
paresseuse ; Ulenspiegel était comme un jeune diable, tout
fier, et Nele comme une petite sainte du Paradis, toute honteuse de
son plaisir.
    Elle appuyait la tête sur l’épaule d’Ulenspiegel, il lui prenait
les mains et, cheminant, il la baisait au front, sur les joues et
sur sa bouche mignonne. Mais elle ne parlait point.
    Au bout de quelques heures, ils avaient chaud et soif, buvaient
du lait chez le paysan, mais ils n’étaient point rafraîchis.
    Et ils s’asseyaient au bord d’un fossé, sur le gazon. Nele,
toute blême, était pensive, Ulenspiegel la regardait
peureux :
    – Tu es triste ? disait-elle.
    – Oui, disait-il.
    – Pourquoi ? demandait-elle.
    – Je ne sais, disait-il, mais ces pommiers et cerisiers tout en
fleurs, cet air tiède et comme chargé du feu de la foudre, ces
pâquerettes s’ouvrant rougissantes sur les prés, l’aubépine, là,
près de nous, dans les haies, toute blanche. Qui me dira pourquoi
je me sens trouble et toujours prêt à mourir ou dormir ? Et
mon cœur bat si fort quand j’entends les oiseaux s’éveiller dans
les arbres et que je vois les hirondelles revenues ; alors, je
veux aller plus loin que le soleil et la lune. Et tantôt j’ai
froid, et tantôt j’ai chaud. Ah ! Nele ! je voudrais
n’être plus de ce bas monde, ou donner mille existences à celle qui
m’aimerait.
    Mais elle ne parlait point, et d’aise souriant, regardait
Ulenspiegel.

XXXII
     
    Le jour de la fête des Morts, Ulenspiegel sortit de Notre-Dame
avec quelques vauriens de son âge. Lamme Goedzak s’était égaré
parmi eux, comme une brebis au milieu des loups.
    Lamme leur paya à tous largement à boire, car sa mère lui
donnait, tous les dimanches et fêtes trois patards.
    Il s’en fut donc avec ses camarades
In den rooden
schildt
, à l’Ecusson rouge, chez Jan van Liebeke, qui leur
servit de la
dobbel-knollaert
de Courtrai.
    La boisson les échauffant, et causant de prières, Ulenspiegel
déclara tout net que les messes des morts ne sont avantageuses
qu’aux prêtres.
    Mais il était un Judas en la bande : il dénonça Ulenspiegel
comme hérétique. Malgré les larmes de Soetkin et les instances de
Claes, Ulenspiegel fut pris et constitué prisonnier. Il resta dans
une cave grillée pendant un mois et trois jours sans voir personne.
Le geôlier lui mangeait les trois quarts de sa pitance. Dans
l’entretemps, on prit des informations sur sa bonne et mauvaise
renommée. Il fut seulement trouvé que c’était un méchant gausseur,
raillant sans cesse le prochain, mais n’ayant jamais médit de
Monseigneur Dieu, de Madame la Vierge, ni de Messieurs les saints.
Pour ce, la sentence fut douce ; car il eût pu être marqué
d’un fer rouge au visage et fouetté jusqu’au sang.
    En considération de sa jeunesse, les juges le condamnèrent
seulement

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