La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak
dans
leurs bras, accoururent au bruit avec la foule du peuple.
Ils vinrent à la Maison commune, devant laquelle se tenaient,
sur leurs chevaux, les hérauts sonnant de la trompette et battant
les cimbales, le prévôt tenant la verge de justice et le procureur
de la commune à cheval, tenant des deux mains une ordonnance de
l’empereur et se préparant à la lire à la foule assemblée.
Claes entendit bien qu’il y était derechef défendu, à tous en
général et en particulier, d’imprimer, de lire, d’avoir ou de
soutenir les écrits, livres ou doctrine de Martin Luther, de
Joannes Wycleff, Joannes Huss, Marcilius de Padua, Æcolampadius,
Ulricus Zwynglius, Philippus Melanchton, Franciscus Lambertus,
Joannes Pomeranus, Otto Brunselsius, Justus Jonas, Joannes Puperis
et Gorcianus ; les Nouveaux Testaments imprimés par Adrien de
Berghes, Christophe de Remonda et Joannes Zel, pleins des hérésies
luthériennes et autres, réprouvés et condamnés par la Faculté des
théologiens de l’Université de Louvain.
« Ni semblablement de peindre ou pourtraire, ou faire
peindre ou pourtraire peintures ou figures opprobrieuses de Dieu et
de benoîte Vierge Marie ou de ses saints ; ou de rompre,
casser ou effacer les images ou pourtraitures qui seraient faits à
l’honneur, souvenance ou remembrance de Dieu et de la Vierge Marie,
ou des saints approuvés de l’Église.
« En outre, disait le placard, que nul, de quelque état
qu’il fût, ne s’avançât communiquer ou disputer de la sainte
Ecriture, mêmement en matière douteuse, si l’on n’était théologien
bien renommé et approuvé de par une Université fameuse. »
Sa Sainte Majesté statuait entre autres peines que les suspects
ne pourraient jamais exercer d’état honorable. Quant aux hommes
retombés dans leur erreur ou qui s’y obstineraient, ils seraient
condamnés à être brûlés à un feu doux ou vif, dans une maison de
paille ou attachés à un poteau, à l’arbitraire du juge. Les hommes
seraient exécutés par l’épée s’ils étaient nobles ou bons
bourgeois, les manants le seraient par la potence et les femmes par
la fosse. Leurs têtes, pour l’exemple, devaient être plantées sur
un pieu. Il y avait, au bénéfice de l’empereur, confiscation des
biens de tous ceux-ci gisant aux endroits sujets à la
confiscation.
Sa Sainte Majesté accordait aux dénonciateurs la moitié de tout
ce que les morts avaient possédé, si les biens de ceux-ci
n’atteignaient pas cent livres de gros, monnaie de Flandre, pour
une fois. Quant à la part de l’empereur, il se réservait de
l’employer en œuvres pies et de miséricorde, comme il le fit au sac
de Rome.
Et Claes s’en fut avec Soetkin et Ulenspiegel tristement.
XI
L’année ayant été bonne, Claes acheta pour sept florins un âne
et neuf rasières de pois, et il monta un matin sur sa bête.
Ulenspiegel se tenait en croupe derrière lui. Ils allaient, en cet
équipage, saluer leur oncle et frère aîné, Josse Claes, demeurant
non loin de Meyborg, au pays d’Allemagne.
Josse, qui fut simple et doux de cœur en son bel âge, ayant
souffert de diverses injustices, devint quinteux ; son sang
tourna en bile noire, il prit les hommes en haine et vécut
solitaire.
Son plaisir fut alors de faire s’entre-battre deux soi-disant
fidèles amis ; et il baillait trois patards à celui des deux
qui daubait l’autre le plus amèrement.
Il aimait aussi de rassembler, en une salle bien chauffée, des
commères en grand nombre et des plus vieilles et hargneuses, et
leur donnait à manger du pain rôti et à boire de l’hypocras.
Il baillait à celles qui avaient plus de soixante ans de la
laine à tricoter en quelque coin, leur recommandant, au demeurant,
de bien toujours laisser croître leurs ongles. Et c’était merveille
à entendre que les gargouillements, clapotements de langue,
méchants babils, toux et crachements aigres de ces vieilles
houhous, qui, leurs affiquets sous l’aisselle, grignotaient en
commun l’honneur du prochain.
Quand il les voyait bien animées, Josse jetait dans le feu une
brosse, du rôtissement de laquelle l’air était tout soudain
empuanti.
Les commères alors, parlant toutes à la fois, s’entre-accusaient
d’être la cause de l’odeur ; toutes niant le fait, elles se
prenaient bientôt aux cheveux, et Josse jetait encore des brosses
dans le feu et par terre du crin coupé. Quand il n’y pouvait plus
voir, tant la mêlée était
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