La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak
déclarèrent dans la suite « tenir à honneur d’être
estimés et nommés gueux pour le service du roi et le bien de ces
pays ».
Ils commencèrent à porter une médaille d’or au cou, ayant d’un
côté l’effigie du roi, et de l’autre deux mains s’entrelaçant à
travers une besace, avec ces mots : « Fidèles au roi
jusqu’à la besace ». Ils portèrent aussi à leurs chapeaux et
bonnets des bijoux d’or en forme d’écuelles et de chapeaux de
mendiants.
Dans l’entretemps, Lamme promenait sa bedaine par toute la
ville, cherchant sa femme et ne la trouvant point.
VII
Ulenspiegel lui dit un matin :
– Suis-moi : nous allons saluer un haut, noble, puissant,
redouté personnage.
– Me dira-t-il où est ma femme ? demanda Lamme.
– S’il le sait, répondit Ulenspiegel.
Ils s’en furent chez Brederode, l’Hercule buveur.
Il était dans la cour de son hôtel.
– Que veux-tu de moi, demanda-t-il à Ulenspiegel.
– Vous parler, monseigneur, répondit Ulenspiegel.
– Parle, répondit Brederode.
– Vous êtes, dit Ulenspiegel, un beau, vaillant et fort
seigneur. Vous étouffâtes, au temps jadis, un Français dans sa
cuirasse comme une moule dans sa coquille ; mais si vous êtes
fort et vaillant, vous êtes aussi bien avisé. Pourquoi donc
portez-vous cette médaille où je lis : « Fidèle au roi
jusqu’à la besace » ?
– Oui, demanda Lamme, pourquoi, monseigneur ?
Mais Brederode ne lui répondit point et regarda Ulenspiegel.
Celui-ci poursuivit son propos :
– Pourquoi, vous autres nobles seigneurs, voulez-vous être au
roi jusqu’à la besace fidèles ? Est-ce pour le grand bien
qu’il vous veut, pour la belle amitié qu’il vous porte ?
Pourquoi, au lieu de lui être fidèles jusques à la besace, ne
faites-vous pas que le bourreau dépouillé de ses pays soit à la
besace toujours fidèle ?
Et Lamme hochait la tête en signe d’assentiment.
Brederode regarda Ulenspiegel de son regard vif, sourit en
voyant sa bonne mine.
– Si tu n’es pas, dit-il, un espion du roi Philippe, tu es un
bon Flamand, et je te vais récompenser pour les deux cas.
Il le mena, Lamme les suivant, en son office. Là, lui tirant
l’oreille jusqu’au sang :
– Ceci, dit-il, est pour l’espion.
Ulenspiegel ne cria point.
– Apporte, dit-il à son sommelier, ce coquemar de vin à la
cannelle.
Le sommelier apporta le coquemar et un grand hanap de vin cuit
et embaumant l’air.
– Bois, dit Brederode à Ulenspiegel ; ceci est pour le bon
Flamand.
– Ah ! dit Ulenspiegel, bon Flamand, belle langue à la
cannelle, les saints n’en parlent point de semblable.
Puis, ayant bu la moitié du vin, il passa l’autre à Lamme.
– Quel est, dit Brederode, ce
papzak
porte-bedaine qui
est récompensé sans avoir rien fait ?
– C’est, répondit Ulenspiegel, mon ami Lamme, qui chaque fois
qu’il boit du vin cuit s’imagine qu’il va retrouver sa femme.
– Oui, dit Lamme humant le vin du hanap avec grande
dévotion.
– Où allez-vous présentement ? demanda Brederode.
– Nous allons, répondit Ulenspiegel, à la recherche des Sept qui
sauveront la terre de Flandre.
– Quels Sept ? demanda Brederode.
– Quand je les aurai trouvés, je vous dirai quels ils sont,
répondit Ulenspiegel.
Mais Lamme tout allègre d’avoir bu :
– Thyl, dit-il, si nous allions dans la lune chercher ma
femme ?
– Commande l’échelle, répondit Ulenspiegel.
***
En mai, le mois vert, Ulenspiegel dit à Lamme :
– Voici le beau mois de mai ! Ah ! le clair ciel bleu,
les joyeuses hirondelles ; voici les branches des arbres
rouges de sève, la terre est en amour. C’est le moment de pendre et
de brûler pour la foi. Ils sont là les bons petits inquisiteurs.
Quelles nobles faces ! Ils ont tout pouvoir de corriger,
punir, dégrader, livrer aux mains des juges séculiers, avoir leurs
prisons, – Ah ! le beau mois de mai ! – faire prise de
corps, poursuivre les procès sans se servir de la forme ordinaire
de justice, brûler, pendre, décapiter et creuser pour les pauvres
femmes et filles la fosse de mort prématurée. Les pinsons chantent
dans les arbres. Les bons inquisiteurs ont l’œil sur les riches. Et
le roi héritera. Allez, fillettes, danser dans la prairie au son
des cornemuses et scalmeyes. Oh ! le beau mois de
mai !
Les cendres de Claes battirent sur la poitrine
d’Ulenspiegel.
– Marchons, dit-il à Lamme. Heureux ceux qui tiendront
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