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La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak

La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak

Titel: La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Charles De Coster
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droit le
cœur, haute l’épée dans les jours noirs qui vont venir !

VIII
     
    Ulenspiegel passa un jour, au mois d’août, rue de Flandre, à
Bruxelles, devant la maison de Jean Sapermillemente, nommé ainsi à
cause qu’en ses colères son aïeul paternel jurait de cette façon
pour ne point blasphémer le très saint nom de Dieu. Ledit
Sapermillemente était maître brodeur de son métier, mais étant
devenu sourd et aveugle par force de buverie, sa femme, vieille
commère d’aigre trogne, brodait en sa place les habits, pourpoints,
manteaux, souliers des seigneurs. Sa fillette mignonne l’aidait en
ce labeur bien payé.
    Passant devant la susdite maison aux dernières heures claires,
Ulenspiegel vit la fillette à la fenêtre et l’entendit
criant :
    Août, Août,
    Dis-moi, doux mois,
    Qui me prendra pour femme,
    Dis-moi, doux mois ?
    – Moi, dit Ulenspiegel, si tu le veux.
    – Toi ? dit-elle. Approche que je te regarde.
    Mais lui :
    – D’où vient que tu cries en août ce que les fillettes de
Brabant crient la veille de mars ?
    – Celles-là, dit-elle, n’ont qu’un mois donateur de mari ;
moi j’en ai douze, et à la veille de chacun d’eux, non à minuit,
mais pendant six heures jusque minuit, je saute de mon lit, je fais
trois pas à reculons vers la fenêtre, je crie ce que tu sais ;
puis, me retournant, je fais trois pas à reculons vers le lit, et à
minuit, me couchant, je m’endors, rêvant du mari que j’aurai. Mais
les mois, doux mois, étant mauvais gausseurs de leur nature, ce
n’est plus d’un mari que je rêve, mais de douze à la fois, tu seras
le treizième si tu veux.
    – Les autres seraient jaloux, répondit Ulenspiegel. Tu cries
aussi : « Délivrance ! »
    La fillette rougissante répondit :
    – Je crie délivrance et sais ce que je demande.
    – Je le sais pareillement et te l’apporte, répondit
Ulenspiegel.
    – Il faut attendre, dit-elle, souriant et montrant ses dents
blanches.
    – Attendre, dit Ulenspiegel, non. Une maison peut me tomber sur
la tête, un coup de vent me jeter dans un fossé, un roquet plein de
rage me mordre à la jambe ; non, je n’attendrai point.
    – Je suis trop jeune, dit-elle, et ne crie que pour la
coutume.
    Ulenspiegel devint soupçonneux, songeant que c’est à la veille
de mars et non du mois des blés que les filles de Brabant crient
pour avoir un mari.
    – Je suis trop jeune et ne crie que pour la coutume
    – Attendras-tu que tu sois trop vieille ? répondit
Ulenspiegel. C’est mauvaise arithmétique. Je ne vis jamais de cou
si rond, de seins plus blancs, seins de Flamande pleins de ce bon
lait qui fait les mâles.
    – Pleins ? dit-elle ; pas encore, voyageur
précipité.
    – Attendre, répéta Ulenspiegel. Faudra-t-il que je n’aie plus de
dents pour te manger toute crue, mignonne ? Tu ne réponds
point, tu souris de tes yeux brun clair et de tes lèvres rouges
comme cerises.
    La fillette, le regardant finement, répondit :
    – Pourquoi m’aimes-tu si vite ? Quel métier fais-tu ?
Es-tu gueux, es-tu riche ?
    – Gueux, dit-il, je le suis, et riche tout ensemble, si tu me
donnes ton corps mignon.
    Elle répondit :
    – Ce n’est point cela que je veux savoir. Vas-tu à la
messe ? Es-tu bon chrétien ? Où demeures-tu ?
Oserais-tu dire que tu es Gueux, vrai Gueux qui résiste aux
placards et à l’Inquisition ?
    Les cendres de Claes battirent sur la poitrine
d’Ulenspiegel.
    – Je suis Gueux, dit-il, je veux voir morts et mangés des vers
les oppresseurs des Pays-Bas. Tu me regardes ahurie. Ce feu d’amour
qui brûle pour toi, mignonne, est feu de jeunesse. Dieu l’alluma,
il flambe comme luit le soleil, jusqu’à ce qu’il s’éteigne. Mais le
feu de vengeance qui couve en mon cœur Dieu l’alluma pareillement.
Il sera le glaive, le feu, la corde, l’incendie, la dévastation, la
guerre et la ruine des bourreaux.
    – Tu es beau, dit-elle tristement, le baisant aux deux joues
mais tais-toi.
    – Pourquoi pleures-tu ? répondit-il.
    – Il faut toujours, dit-elle, regarder ici et ailleurs où tu
es.
    – Ces murs ont-ils des oreilles ? demanda Ulenspiegel
    – Ils n’ont que les miennes, dit-elle.
    – Sculptées par Amour je les fermerai d’un baiser.
    – Fol ami, écoute-moi quand je parle.
    – Pourquoi ? qu’as-tu à me dire ?
    – Ecoute-moi, dit-elle impatiente. Voici ma mère… Tais-toi,
tais-toi surtout devant elle…
    La vieille Sapermillemente entra. Ulenspiegel

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