La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak
embrassée.
– Je ne le fus point toujours, dit-elle. Moi aussi comme
elle.
– Ces chants, dit-il, ces muets appels de beauté aux hommes
amoureux ?
– Oui, dit-elle. Ma mère le voulait. Toi, je te sauve, t’aimant
d’amour. Les autres, je les sauverai en souvenir de toi, mon aimé.
Quand tu seras loin, ton cœur tirera-t-il vers la fille
repentie ? Baise-moi, mignon. Elle ne baillera plus pour de
l’argent des victimes au bûcher. Va-t’en ; non, reste encore.
Comme ta main est douce ! Tiens, je te baise la main, c’est
signe d’esclavage ; tu es mon maître. Ecoute, plus près,
tais-toi. Des hommes bélîtres et larrons, et, parmi eux un Italien,
sont venus céans, cette nuit, l’un après l’autre. Ma mère les fit
entrer dans la salle où tu es, me commanda de sortir, ferma la
porte. J’entendis ces mots : « Crucifix de pierre, porte
de Borgerhoet, procession, Anvers, Notre-Dame, » des rires étouffés
et des florins qu’on comptait sur la table… Fuis, les voici, fuis
mon aimé. Garde-moi ta douce souvenance ; fuis…
Ulenspiegel courut comme elle disait jusqu’au Vieux Coq,
In
den ouden Haen
, et y trouva Lamme brassant mélancolie,
croquant un saucisson et humant sa septième pinte de
peterman
de Louvain.
Et il le força de courir comme lui nonobstant sa bedaine.
IX
Courant ainsi le grand trotton, suivi de Lamme, il trouva dans
l’Eikenstraat un méchant pasquil contre Brederode. Il le lui alla
porter tout droitement.
– Je suis, dit-il, monseigneur, ce bon Flamand et cet espion du
roi à qui vous frottâtes si bien les oreilles, et à qui vous
donnâtes à boire de si bon vin cuit. Il vous apporte un mignon
petit pamphlet où l’on vous accuse, entre autres choses, de vous
intituler comte de Hollande, comme le roi. Il est tout frais sorti
des presses de Jan a Calumnia, demeurant près du quai des Vauriens,
impasse des Larrons d’honneur.
Brederode, souriant, lui répondit :
– Je te fais fouetter pendant deux heures si tu ne me dis le
vrai nom du scribe.
– Monseigneur, répondit Ulenspiegel, faites-moi fouetter pendant
deux ans si vous voulez, mais vous ne pourrez forcer mon dos à vous
dire ce que ma bouche ignore.
Et il s’en fut non sans avoir reçu un florin pour sa peine.
X
Depuis juin, le mois des roses, les prêches avaient commencé au
pays de Flandre.
Et les apôtres de la primitive Eglise chrétienne prêchaient
partout, en tous lieux, dans les champs et jardins, sur les
monticules qui servent aux temps d’inondation à loger les bestiaux,
sur les rivières, dans des barques.
Sur terre, ils se retranchaient comme dans un camp en
s’entourant de leurs chariots. Sur les rivières et dans les havres,
des barques pleines d’hommes armés faisaient la garde autour
d’eux.
Et dans les camps, des mousquetaires et arquebusiers les
gardaient des surprises de l’ennemi.
Et ainsi la parole de liberté fut entendue de toutes parts sur
la terre des pères.
XI
Ulenspiegel et Lamme étant à Bruges, avec leur chariot qu’ils
laissèrent en une cour voisine, entrèrent en l’église du
Saint-Sauveur, au lieu d’aller à la taverne, car il n’y avait plus
dans leurs escarcelles nul joyeux tintement de monnaie.
Le père Cornelis Adriaensen, frère mineur, sale, éhonté, furieux
et aboyeur prédicant, se démenait ce jour-là dans la chaire de
vérité.
De jeunes et belles dévotes se pressaient autour.
Le père Cornelis parlait de la Passion. Quand il en fut au
passage du saint Evangile où les Juifs criaient à Pilate, en
parlant de Monseigneur Jésus : « Crucifiez-le,
crucifiez-le, car nous avons une loi, et, d’après cette loi, il
doit mourir ! » Broer Cornelis s’exclama :
« Vous venez de l’entendre, bonnes gens, si Notre-Seigneur
Jésus-Christ a pâti une mort horrifique et honteuse, c’est qu’il y
a toujours eu des lois pour punir les hérétiques. Il fut justement
condamné, parce qu’il avait désobéi aux lois. Et ils veulent
maintenant regarder comme rien les édits et les placards. Ah !
Jésus ! quelle malédiction voulez-vous faire tomber sur ces
pays ! Honorée mère de Dieu, si l’empereur Charles était
encore en vie et qu’il pût voir le scandale de ces nobles
confédérés qui ont osé présenter une requête à la Gouvernante
contre l’Inquisition et contre les placards faits dans un but si
bon, qui sont si mûrement pensés, édictés après de si longues et de
si prudentes réflexions, pour
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