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LA LETTRE ÉCARLATE

LA LETTRE ÉCARLATE

Titel: LA LETTRE ÉCARLATE Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nathaniel Hawthorne
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années d’existence tranquille. La loi même qui l’avait condamnée – géant au dur visage mais au bras de fer, aussi fort pour soutenir que pour annihiler – lui avait prêté la vigueur nécessaire pour supporter cette accablante, cette ignominieuse épreuve. Mais avec ces premiers pas qu’elle faisait toute seule hors de sa prison, c’était une routine quotidienne qui commençait pour Hester Prynne. Et il lui fallait ou la supporter et marcher de l’avant, grâce aux ressources ordinaires de sa nature, ou succomber. Elle ne pouvait plus emprunter à l’avenir pour faire face au tourment présent. Le lendemain apporterait avec lui son épreuve ; et de même le surlendemain et le jour d’après et tous les autres. Chaque jour son épreuve et qui serait pourtant la même que celle qu’il était si inexprimablement douloureux de subir aujourd’hui. Les jours, les semaines, les mois de l’avenir le plus éloigné se dérouleraient péniblement avec, pour charger ses épaules, toujours le même fardeau, un fardeau qu’elle ne pourrait jamais jeter à terre car les jours et les années l’alourdiraient chacun un peu plus en s’accumulant. Finalement, dépouillée de toute individualité, elle ne serait plus qu’un symbole à l’usage des prédicateurs et des moralistes désireux d’insister sur la faiblesse de la femme ou de flétrir les passions coupables. Ainsi les jeunes, les purs la regarderaient avec la lettre écarlate – elle, la fille de parents honorables – elle, la mère d’une enfant qui deviendrait une femme – elle, qui avait été innocente, jadis – comme le visage, le corps, l’incarnation du péché. Et sur sa tombe, la honte qu’il lui aurait fallu porter ainsi jusqu’au bout deviendrait l’unique monument dédié à sa mémoire.
    Il peut paraître bizarre qu’avec le monde entier devant elle, et alors que nulle clause de sa condamnation ne la retenait dans les limites de cette colonie puritaine si lointaine et si obscure, libre donc de revenir dans son pays natal ou d’aller dans n’importe quel autre pays d’Europe cacher sa faute et son identité sous une apparence nouvelle ; qu’avec, toutes proches, les cachettes de la forêt insondable où une nature farouche comme la sienne aurait pu se faire une place chez un peuple dont les coutumes et les croyances étaient étrangères à la loi qui l’avait condamnée – il peut paraître bizarre, disons-nous, qu’Hester Prynne ait continué de considérer comme sa patrie l’endroit, le seul endroit du monde où elle symbolisait la honte. Mais il existe une fatalité, un sentiment, si impérieux qu’il a force de loi, qui oblige presque invariablement les êtres humains à ne pas quitter, à hanter comme des fantômes, les endroits où quelque événement marquant a donné sa couleur à leur vie ; et ceci d’autant plus irrésistiblement que cette couleur est plus sombre. Son péché, sa honte étaient les racines qui implantaient Hester en ce sol. C’était comme si une seconde naissance– une naissance qui l’aurait mieux pénétrée de son ambiance que la première – avait transformé pour elle ce pays de forêts, encore si rebutant pour les autres Européens, en une patrie. Une patrie sauvage et lugubre mais où elle était véritablement chez elle et pour toute sa vie.
    Tous les autres lieux du monde lui étaient étrangers en comparaison – même ce village de la campagne anglaise où son enfance heureuse et son adolescence sans tache semblaient être restées aux soins de sa mère, tels des vêtements que depuis longtemps on ne porte plus. La chaîne qui l’attachait avait des mailles de fer et la meurtrissait jusqu’au fond de l’âme, mais elle ne pourrait jamais être brisée.
    Peut-être aussi – c’était même sans aucun doute le cas, bien qu’elle se cachât ce secret à elle-même et pâlît chaque fois qu’il luttait pour sortir de son cœur tel un serpent de son trou – peut-être un autre sentiment retenait-il Hester en ce lieu qui lui avait été si fatal. Ici vivait, ici cheminait quelqu’un avec qui elle s’estimait unie par un lien, non reconnu en ce monde, mais qui les ferait appeler ensemble à la barre du jugement dernier, seul autel de leur mariage, et les renverrait à un avenir commun de châtiment éternel. Encore et encore le tentateur des âmes avait jeté cette idée dans l’esprit d’Hester et ri de voir avec quel désespéré mouvement de joie passionnée elle

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