LA LETTRE ÉCARLATE
au visage ridé fixait sur elle des regards d’un éclat si intense qu’Hester Prynne serra ses mains sur son cœur comme si elle eût craint qu’il en pût, sur-le-champ, transpercer le secret.
– Tu ne veux pas révéler son nom ? Cet homme n’en sera pas moins un jour à ma merci, reprit-il, l’air sûr de lui comme si le destin eût été son allié. Il ne porte pas de lettre sur ses vêtements comme toi, mais je n’en saurais pas moins lire en son cœur. Toutefois, ne crains rien pour lui. Ne crois pas que je vais intervenir, que je ne laisserai point Dieu le punir comme Il l’entend, ni que, à mon propre dam, je l’irai dénoncer à la loi humaine. N’imagine pas davantage que je tenterai quoi que ce soit contre sa vie ; non, ni contre sa renommée s’il est, comme je le crois, de belle réputation. Qu’il vive ! Qu’il se dissimule derrière les honneurs s’il le peut ! Il n’en tombera pas moins à ma merci !
– Tes actes ont l’air inspirés par la clémence, dit Hester bouleversée et transie d’épouvante, mais tes paroles font de toi un objet de terreur !
– Je te vais demander une chose à toi qui fus ma femme, poursuivit le savant. Tu as gardé le secret de cet homme. Fais-en autant pour le mien ! Nul en ce pays ne me connaît. Ne souffle à âme qui vive que tu m’appelas jamais ton mari. Ici, sur ces sauvages confins de la terre, j’entends planter ma tente. Car, errant et isolé partout ailleurs, je trouve ici une femme, un homme, une enfant auxquels m’attachent les liens les plus étroits. Qu’importe qu’ils soient d’amour ou de haine ! Qu’il s’agisse de bien ou de mal ! Toi, les tiens et moi nous sommes liés, Hester Prynne ! Ma patrie est là où tu es, là où est cet homme. Mais ne me trahis point !
– Pourquoi désires-tu cela ? demanda Hester reculant sans s’en expliquer la raison devant ce lien secret. Pourquoi ne pas dire ouvertement qui tu es et me répudier sur-le-champ ?
– Peut-être, répondit-il, parce que je veux éviter le déshonneur qui entache l’époux d’une femme infidèle. Peut-être pour d’autres motifs. Il suffit. C’est mon dessein de vivre et de mourir inconnu. Laisse donc ton mari passer aux yeux du monde pour un homme mort de qui nul n’entendra jamais plus nouvelle. Ne me reconnais ni par un mot, ni par un signe, ni par un regard ! Ne souffle rien surtout de mon secret à l’homme qui fut ton complice. Prends garde de ne point y faillir ! Sa renommée, sa position, sa vie seront entre mes mains. Prends garde !
– Je garderai ton secret comme j’ai gardé le sien, dit Hester.
– Jure-le, ordonna-t-il.
Et elle en fit serment.
– Et maintenant, Madame Prynne, dit le vieux Roger Chillingworth, car c’est ainsi qu’on allait désormais appeler cet homme, maintenant, je te laisse seule. Seule avec ton enfant et la lettre écarlate. Et dis-moi, Hester, ta condamnation t’oblige-t-elle à porter cette marque en ton sommeil ? Ne redoutes-tu point les cauchemars et les vilains rêves ?
– Pourquoi me souris-tu de la sorte ? demanda Hester inquiétée par l’expression qu’elle lui voyait aux yeux. Es-tu semblable à l’Homme Noir {42} qui hante la forêt alentour ? M’as-tu attirée dans un piège et liée par un pacte qui sera la perte de mon âme ?
– La perte de ton âme, non, lui répondit-il avec un nouveau sourire. Non, pas de la tienne.
CHAPITRE V – HESTER À SON AIGUILLE
Hester Prynne arrivait à présent au terme de sa captivité. Les portes de sa prison furent grandes ouvertes et elle sortit au plein soleil qui, bien que brillant également pour tous, lui donna l’impression morbide de n’avoir de rayons que pour éclairer sur sa poitrine la lettre écarlate.
Les premiers pas qu’elle fit toute seule en cette minute lui furent sans doute une plus torturante épreuve que la marche processionnelle qui avait fait d’elle le point de mire que tout le monde était invité à montrer du doigt. Elle avait, alors, été soutenue par une anormale tension de tous ses nerfs, et aussi par l’énergie combative de son caractère qui lui avait permis de transformer toute cette scène en une sorte de triomphe sinistre. Il s’agissait, d’ailleurs, d’un événement tout à fait exceptionnel, qui ne devait se produire qu’une fois dans sa vie, qu’elle avait donc pu affronter en prodigue, dépensant en une seule journée toute la force vitale qui aurait suffi à plusieurs
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