LA LETTRE ÉCARLATE
s’en était saisie pour essayer ensuite de la jeter loin d’elle. Elle regardait, l’espace d’un éclair, cette idée en face et puis se hâtait de la barricader derechef au cachot. Ce qu’elle s’obligeait à croire – ce qu’elle devait, à force de raisonnements, finir par considérer comme le motif qui la poussait à rester en Nouvelle-Angleterre – était à moitié une vérité, à moitié une illusion. C’est ici, se disait-elle, que j’ai été coupable et c’est ici que je dois expier sur cette terre. La torture que lui infligerait sa honte quotidienne laverait peut-être à la fin son âme et en remplacerait la pureté perdue par une autre approchant de celle d’une sainte puisqu’elle serait le résultat d’un martyre.
Hester Prynne ne s’enfuit donc point. Aux abords de la ville, sur le littoral de la Péninsule, mais assez éloignée des autres habitations, s’élevait une petite chaumière. Elle avait été bâtie par un des premiers colons, puis abandonnée, parce que le sol qui l’entourait n’était pas propice à la culture et que son éloignement relatif l’écartait de la sphère de cette activité sociale qui avait, bientôt, caractérisé les mœurs des émigrants. Construite sur la plage, elle donnait, par-delà un bassin d’eau de mer, sur les collines couvertes de forêts qui se dressaient vers l’ouest. Un bouquet d’arbres rabougris, comme il n’en pousse que dans la Péninsule, plutôt que de la dissimuler à la vue, semblait indiquer qu’il y avait, en cet endroit, quelque chose à cacher. C’est dans cette solitaire petite demeure qu’Hester Prynne alla s’installer avec son enfant, après avoir obtenu la permission des magistrats qui gardaient sur elle un droit de surveillance. Un effroi religieux, une ombre de suspicion pesèrent aussitôt sur l’endroit. Des enfants, trop jeunes pour comprendre pourquoi cette femme était tenue à l’écart de toute charité humaine, se glissaient assez près pour la voir manier son aiguille à la fenêtre de sa chaumière, ou bêcher son petit jardin, ou s’engager sur le sentier qui menait à la ville, puis, apercevant la lettre écarlate sur sa poitrine, ils décampaient sous le coup d’une terreur étrange et contagieuse.
Isolée comme elle l’était, n’ayant pas sur terre un ami qui osât se faire voir, Hester ne courait cependant aucun risque de se trouver dans le besoin. Elle possédait un art qui, même dans un pays où il n’avait relativement que peu d’occasion de s’exercer, devait suffire à les nourrir, elle et son enfant. C’était, alors comme maintenant, le seul art ou presque à la portée d’une femme – l’art des travaux à l’aiguille. Elle portait sur sa poitrine, avec cette lettre si curieusement brodée, un spécimen de la délicatesse et de l’imagination d’un talent que les dames d’une Cour eussent été ravies de mettre à contribution pour ajouter à leurs parures d’or et de soie cet ornement plus précieux et plus spirituel qu’est l’industrie humaine. Il est vrai qu’avec la sombre simplicité caractéristique de la façon de s’habiller des Puritains, il n’allait pas y avoir, en Nouvelle-Angleterre, grande demande pour ce qu’Hester pouvait faire de plus beau. Cependant le goût de l’époque, d’une telle exigence pour les détails du costume, n’était pas sans étendre son influence sur nos austères ancêtres qui avaient laissé derrière eux tant d’autres raffinements dont il pourrait paraître plus dur de se passer. Des cérémonies publiques telles qu’ordinations, installations de magistrats, étaient, ainsi que tout ce qui pouvait donner de la majesté aux apparences lorsque le gouvernement nouveau se manifestait en public, marquées, par habileté politique, au coin d’un cérémonial bien réglé et d’une magnificence sombre mais très étudiée. Des fraises aux plis profonds, des rabats excessivement ouvragés et des gants aux broderies somptueuses étaient considérés comme devant faire nécessairement partie de la tenue officielle des hommes qui tenaient les rênes du pouvoir. Le port en était, en outre, aisément permis à des personnages notoires par leur rang ou leur richesse, tandis que des lois somptuaires les interdisaient au vulgaire. Les funérailles – qu’il s’agît de la parure du mort ou de figurer, par maints écussons et inscriptions emblématiques de drap noir et de toile blanche, le chagrin des survivants –
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