LA LETTRE ÉCARLATE
profondément imprimé dans son cerveau qu’elle ne pouvait rien concevoir qui ne l’évoquât, Hester avait mis tous ses soins à travailler à cette ressemblance. Elle avait, des heures durant, prodigué des trésors d’ingéniosité morbide pour créer une analogie entre l’objet de sa tendresse et l’emblème de sa faute et de son tourment. Et, en vérité, Pearl était à la fois l’un et l’autre et c’était en conséquence de cette identité que la mère avait si parfaitement réussi à représenter la lettre sous l’apparence de son enfant.
Comme les deux voyageuses pénétraient dans la ville, les enfants des Puritains délaissèrent leurs jeux – ou enfin ce qui passait pour des jeux parmi ces lugubres marmots – et se dirent gravement les uns aux autres :
– Voici venir la femme à la lettre écarlate avec l’image de la lettre écarlate courant à son côté. Allons leur lancer de la boue !
Mais, après avoir froncé les sourcils et secoué son petit poing avec gestes sur gestes de menace, Pearl, qui était une enfant intrépide, fonça soudain vers ses ennemis et leur fit prendre à tous la fuite. Elle ressemblait, en leur donnant aussi impétueusement la chasse, à un fléau-enfant – fièvre scarlatine, ange exterminateur à peine en état de voler – dont la mission eût été de punir les péchés de la jeune génération. Et, tout en courant, elle poussait des clameurs retentissantes qui devaient faire trembler les cœurs des fugitifs dans leurs poitrines. Sa victoire remportée, Pearl revint tranquillement au côté de sa mère, et, levant la tête vers elle, lui sourit.
Hester et sa fille arrivèrent sans autre aventure à la demeure de Messire Bellingham. C’était une grande maison de bois, d’un genre dont on trouve des spécimens encore dans les rues de nos plus anciennes villes. Rongées par la mousse, tombant en ruine, ces maisons sont aujourd’hui rendues mélancoliques par les nombreux événements, heureux ou malheureux, oubliés ou survivants dans les mémoires, qui se sont passés dans leurs pièces sombres.
Mais, aux temps dont nous parlons, la maison du Gouverneur avait sur sa façade toute la fraîcheur de l’année en cours. Ses fenêtres ensoleillées resplendissaient de la gaieté d’une habitation lumineuse que la mort n’a pas visitée encore. Elle avait l’air tout à fait joyeux avec ses murs tout revêtus d’un enduit dans lequel s’incrustaient de nombreux éclats de verre, de sorte que lorsque les rayons du soleil la frappaient, sa façade scintillait comme si des diamants y avaient été jetés à poignées. C’était là un éclat qui eût mieux convenu au palais d’Aladin qu’à la demeure d’un vieux Puritain austère. Et cette décoration était complétée par d’étranges figures d’aspect cabalistique, marquées au coin du goût bizarre de l’époque qui, dessinées dans l’enduit frais étalé, s’étaient solidifiées pour durer avec lui et s’offrir à l’admiration des siècles à venir.
En voyant cette merveille de maison, Pearl se mit à danser et à bondir d’enthousiasme et exigea que l’on décrochât tout de suite le grand morceau de soleil qui s’étendait tout le long de la façade et qu’on le lui donnât pour s’amuser.
– Non, ma petite Pearl, lui dit sa mère. Il te faudra trouver des rayons de soleil à toi, moi je n’en ai pas à te donner.
Elles se dirigèrent vers la porte qui était voûtée et flanquée de chaque côté par une tour étroite faisant corps avec le logis et percée de fenêtres treillissées à volets de bois permettant de les fermer au besoin. Soulevant le marteau de fer appendu au battant, Hester Prynne lança un appel auquel répondit un serf du Gouverneur – un Anglais né libre mais pour sept ans esclave. Durant ce laps de temps, cet homme allait être la propriété de son maître qui pourrait en faire un objet de transaction autant que d’un bœuf ou d’un escabeau. Il portait le surcot bleu qui était alors chez nous le vêtement habituel des gens en servage comme il l’était depuis longtemps dans les vieux domaines ancestraux en Angleterre.
– Messire Bellingham est-il en son logis ? demanda Hester.
– Oui bien, répondit le serf en regardant d’un œil écarquillé la lettre écarlate qu’étant nouveau venu il ne connaissait point. Oui, sa Seigneurie est chez soi présente. Mais il y a un saint homme de pasteur ou deux avec elle et aussi un médecin.
Weitere Kostenlose Bücher