LA LETTRE ÉCARLATE
son index levé, montra une image semblable reproduite là-haut dans le casque, tout en souriant à sa mère avec cet air de lutin qui en sait long que prenait si souvent son petit visage. Cette expression de gaieté méchante se refléta, elle aussi, dans la cuirasse, tellement agrandie et avec un effet d’une intensité telle qu’Hester Prynne eut l’impression que ce ne pouvait être là l’image de son enfant mais celle d’un démon qui aurait cherché à se glisser dans la personne de Pearl.
– Viens, dit-elle, en entraînant la petite fille. Allons regarder ce beau jardin. Nous allons peut-être y voir des fleurs plus jolies que celles que nous trouvons dans les bois.
Pearl courut donc tout au bout de la salle vers la grande fenêtre et regarda le jardin. Une herbe bien tondue en recouvrait le sol et, çà et là, d’informes ébauches de massifs. Mais son propriétaire semblait avoir déjà renoncé à l’espoir d’acclimater de ce côté de l’Atlantique, sur un sol dur qui ne se laissait que difficilement arracher des moyens de subsistance, les jardins d’agrément si goûtés en Angleterre. Des choux poussaient bien en vue ; des plants de citrouille, installés un peu à l’écart, avaient gagné du terrain de tous leurs feuillages et vrilles. Ils étaient venus déposer un de leurs gigantesques produits sous la fenêtre même de la grande salle, comme pour avertir le Gouverneur que cet énorme légume doré était le plus splendide ornement que le sol de la Nouvelle-Angleterre lui offrirait jamais pour embellir son jardin. Il y avait cependant quelques buissons de roses et un certain nombre de pommiers, descendants sans doute de ceux que planta le Révérend Blackstone {51} , le premier colon de la Péninsule, ce personnage à demi légendaire que nos Annales {52} nous montrent assis sur le dos d’un taureau.
Pearl, en voyant les rosiers, se mit à pleurer pour avoir une rose rouge et ne voulut pas se laisser consoler.
– Chut ! Chut ! lui disait sa mère avec instance. Ne pleure plus, ma petite Pearl. J’entends des voix dans le jardin {53} . Voici venir le Gouverneur et d’autres seigneurs avec lui.
En effet, du fond de l’allée du jardin, plusieurs personnes se dirigeaient vers la maison. Pearl, au mépris absolu des tentatives de sa mère pour la calmer, lança un épouvantable cri puis elle se tut, non par obéissance, mais parce que sa curiosité mobile était excitée par la vue des nouveaux arrivants.
CHAPITRE VIII – L’ENFANT-LUTIN ET LE PASTEUR
Messire Bellingham marchait le premier, en vêtements lâches et le chef recouvert d’une de ces coiffures sans apparat dont les seigneurs qui avancent en âge aiment à se parer dans le privé. Il semblait faire les honneurs de son domaine et exposer ses projets d’amélioration. La large fraise à la mode du temps du roi Jacques qui s’arrondissait sous sa barbe n’était pas sans donner à sa tête quelque ressemblance avec celle de saint Jean-Baptiste sur un plat. Son aspect rigide de Puritain touché par un gel qui n’était déjà plus le gel de l’automne, ne s’harmonisait guère avec toutes les commodités et les agréments dont il s’était, de toute évidence, efforcé de s’entourer. Mais c’est une erreur de croire que, s’ils considéraient l’existence humaine comme un temps d’épreuve et de combat et se tenaient prêts à sacrifier les biens de ce monde aux injonctions du devoir, nos graves ancêtres se faisaient un cas de conscience d’écarter les raffinements du confort ou même du luxe qu’ils trouvaient à portée. Pareils principes ne furent, en tout cas, jamais enseignés par le vénérable pasteur John Wilson, dont la barbe aussi blanche que neige s’entrevoyait derrière l’épaule du Gouverneur tandis qu’il suggérait qu’on pourrait peut-être acclimater des poires et des pêches en Nouvelle-Angleterre et faire mûrir des raisins noirs sur le mur le plus ensoleillé du jardin.
Nourri au sein abondant de l’Église d’Angleterre, le vieux clergyman avait un goût légitime et bien enraciné pour les bonnes choses d’ici-bas. Et, tout sévère qu’il pût se montrer en chaire, ou lorsqu’il réprouvait en public des agissements comme ceux d’Hester Prynne, il n’en avait pas moins conquis par la bienveillance et la jovialité qu’il laissait voir dans sa vie privée plus d’affection qu’aucun de ses contemporains dans la profession.
Derrière le Gouverneur et le
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