LA LETTRE ÉCARLATE
Révérend Wilson venaient deux autres visiteurs : le Révérend Arthur Dimmesdale, ce jeune pasteur qui avait, le lecteur s’en souviendra peut-être, joué brièvement un rôle, et d’ailleurs à son corps défendant, dans la scène de la disgrâce d’Hester Prynne et le vieux Roger Chillingworth, un Anglais très versé dans l’art de la médecine qui s’était depuis ces deux ou trois dernières années installé dans la ville. Ce docte personnage passait pour être le médecin aussi bien que l’ami du jeune pasteur dont la santé avait beaucoup souffert ces temps derniers par suite de son trop entier dévouement aux devoirs de son ministère.
Le Gouverneur, précédant ses hôtes, monta deux ou trois degrés et, ouvrant la porte-fenêtre de la grande salle, se trouva tout près de la petite Pearl. L’ombre du rideau tombait sur Hester Prynne et la cachait en partie.
– Qu’avons-nous ici ? dit Messire Bellingham, en regardant avec surprise la petite silhouette écarlate qui lui apparaissait. Par ma foi, je ne vis jamais rien de pareil depuis que je donnais dans les vanités, au temps du vieux roi Jacques, et tenais pour grande faveur d’être admis aux bals masqués de la Cour ! On voyait des essaims de petits personnages semblables, alors, aux jours de fête et nous avions coutume de les appeler les enfants du seigneur du Désordre {54} . Mais comment pareil visiteur pénétra-t-il en mon logis ?
– Or çà, s’écria le bon vieux pasteur Wilson, quel peut bien être le nom du bel oiselet à plumage rouge que voici ? Il me semble avoir vu semblables apparitions lorsque le soleil brillait à travers un vitrail richement peint et dessinait des images d’or et écarlate sur le sol. Mais ceci se passait en notre vieux pays là-bas… Dis un peu qui tu es, petit personnage, et ce qui posséda ta mère de t’aller attifer de la sorte ? Sais-tu ton catéchisme ? Es-tu enfant baptisé, dis-moi ? ou un de ces coquins de petits elfes que nous croyions avoir laissé derrière nous avec les autres résidus du papisme en la bonne Vieille-Angleterre ?
– Je suis l’enfant de ma mère, répondit l’apparition, et je m’appelle Pearl.
– Pearl ? Rubis t’irais mieux ! ou Corail ! d’après ta couleur ! répondit le vieux pasteur en tentant vainement de tapoter la joue de la petite fille. Mais où ta mère est-elle donc ? Ah ! je vois !
Et, se tournant vers le Gouverneur, il murmura : « C’est ici l’enfant même dont nous nous entretînmes et voici cette malheureuse femme, Hester Prynne, sa mère.
– Que me contez-vous là ? s’écria Messire Bellingham. Eh ! nous l’eussions dû deviner que la mère d’une enfant pareille ne pouvait qu’être une femme écarlate {55} , ne valant guère mieux que cette autre dite Babylone ! Mais elle vient à point et nous allons régler cette affaire.
Messire Bellingham franchit le seuil de la porte-fenêtre et entra dans la salle suivi de ses hôtes.
– Hester Prynne, dit-il en fixant son regard naturellement sévère sur la porteuse de la lettre écarlate, il a été fort question de toi ces temps-ci. Il fut longuement discuté si nous autres, gens au pouvoir, ne chargions point nos consciences en confiant une âme immortelle, celle de cette enfant, ici, à la garde de quelqu’un qui ne sut éviter les embûches du monde. Parle ! Toi, la mère ! Ne crois-tu point qu’il serait bon pour le salut éternel et temporel de ton enfant qu’elle te fût enlevée pour être vêtue avec modestie, sévèrement élevée et convenablement instruite des vérités de la terre et du ciel ? Que peux-tu faire, pour ton enfant, de comparable ?
– Je peux lui apprendre ce que m’a enseigné ceci, répondit Hester Prynne, en posant un doigt sur la lettre écarlate.
– Femme, c’est là le signe de ta honte ! répondit l’implacable magistrat. C’est en raison de la souillure qu’indique cette lettre que nous voulons mettre l’enfant en d’autres mains que les tiennes.
– Ce signe, dit la mère avec calme bien que pâlissant davantage, ce signe m’a enseigné, m’enseigne tous les jours, m’enseigne en cet instant même une leçon qui pourra rendre mon enfant plus sage bien que ne pouvant être d’aucun profit pour moi.
– Nous jugerons avec prudence, dit Messire Bellingham et prendrons bien garde avant de rien décider. Mon bon Révérend Wilson, voudriez-vous, s’il vous plaît, interroger cette enfant dite Pearl
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