LA LETTRE ÉCARLATE
et voir si elle possède le savoir religieux qui convient à son âge ?
Le vieux clergyman s’assit dans un fauteuil et tenta d’attirer Pearl entre ses genoux mais l’enfant, qui n’était pas accoutumée à se laisser traiter familièrement par d’autres que par sa mère, s’échappa par la porte-fenêtre ouverte et se tint sur le premier degré de l’escalier, tel un oisillon tropical, au brillant plumage, prêt à prendre son vol au plus haut des airs. Le Révérend Wilson, non sans rester fort surpris de ces façons – car il était du genre grand-père et en général très aimé des enfants – se mit néanmoins en devoir de procéder aux interrogations qui se devaient.
– Pearl, dit-il, avec beaucoup de solennité, il te faut bien écouter et retenir ce que l’on t’apprend afin de pouvoir, le moment venu, porter sur ta poitrine une perle de grand prix. Me peux-tu dire, mon enfant, qui t’a créée et mise au monde ?
Or Pearl savait très bien qui l’avait créée et mise au monde. Hester, née de parents pieux, avait, en effet, aussitôt après avoir parlé avec l’enfant de leur Père qui était au ciel, commencé à lui apprendre ces vérités dont l’esprit humain, fût-il à peine développé encore, se laisse imprégner avec empressement. Pearl se trouvait même si avancée en instruction religieuse, pour ses trois ans, qu’elle aurait pu passer avec honneur un examen tant sur le Livre de Prières de la Nouvelle-Angleterre {56} que sur les premiers chapitres du catéchisme de Westminster {57} . Mais cette tendance au caprice, qui est plus ou moins le lot de tous les enfants et dont la petite Pearl avait dix parts pour une, prit possession d’elle en ce moment entre tous mal choisi, lui scellant les lèvres ou la poussant à parler de travers. Après avoir mis un doigt dans sa bouche et s’être maussadement refusée à répondre à la question du Révérend Wilson, l’enfant finit par déclarer qu’elle n’avait pas été créée du tout mais que sa mère l’avait cueillie sur le buisson de roses sauvages qui poussait contre la porte de la prison.
Cette réponse fantaisiste lui avait probablement été inspirée par le voisinage des roses rouges du Gouverneur mêlé au souvenir du rosier de la prison devant lequel la mère et la fille étaient passées le matin même en venant.
Le vieux Roger Chillingworth chuchota, avec un sourire, quelque chose à l’oreille du jeune pasteur.
Hester Prynne le regarda et fut frappée, même en ce moment pour elle fatidique, de voir à quel point cet homme avait changé. Son visage paraissait plus laid, son teint plus sombre, son corps plus contrefait qu’au temps où il était pour elle une présence familière. Leurs regards se croisèrent une seconde mais l’instant d’après l’attention générale était happée par la scène en cours.
– Mais c’est épouvantable, s’écriait le Gouverneur revenant petit à petit de la stupeur où l’avait plongé la réponse de Pearl. Une enfant de trois ans qui ne sait pas qui l’a créée ! Sans doute aucun, elle plonge dans une obscurité aussi profonde en ce qui concerne son âme, son présent état de dépravation, le destin qui l’attend ! Il me paraît, mes bons seigneurs, inutile de nous enquérir plus avant.
Hester se saisit de Pearl et l’attira par force dans ses bras puis affronta le vieux puritain d’un air presque sauvage. Seule au monde, répudiée par le genre humain, n’ayant que cet unique trésor pour conserver son cœur en vie, elle sentait posséder envers et contre tous des droits imprescriptibles et était prête à les défendre jusqu’à la mort.
– Dieu me l’a donnée ! s’écria-t-elle. Il me l’a donnée en compensation de tout ce que vous m’avez enlevé. Pearl est mon bonheur et aussi mon tourment ! Elle me maintient en vie ! Elle est en même temps ma punition ! Ne voyez-vous donc point que la lettre écarlate, c’est elle ! Mais une lettre écarlate qui se fait aimer et qui a, par conséquent, dix millions de fois plus que l’autre le pouvoir de me faire expier ! Vous ne me la prendrez pas, je mourrai avant !
– Ma pauvre femme, dit le vieux pasteur qui n’était pas méchant, l’enfant sera bien soignée, bien mieux qu’il ne serait en ton pouvoir de le faire.
– Dieu m’en a donné la garde ! reprit Hester Prynne élevant la voix presque jusqu’au cri. Je ne me la laisserai point enlever !
Et, mue par une impulsion
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