LA LETTRE ÉCARLATE
tout à fait endormie, Pearl leva ses yeux noirs tout luisants de malice et demanda :
– Mère, que veut dire la lettre écarlate ?
Et le lendemain matin, le premier signe que l’enfant donna d’être éveillée fut de dresser sa tête de sur son oreiller et de poser la question qu’elle rapprochait si inexplicablement de celle qui concernait la lettre écarlate :
– Mère ! Mère ! Pourquoi le pasteur tient-il sa main sur son cœur ?
– Tais-toi, vilaine enfant ! lui répondit Hester avec une rudesse qu’elle ne s’était jusqu’alors jamais permise, ou je vais t’enfermer dans le cabinet noir !
CHAPITRE XVI – UNE PROMENADE EN FORÊT
Au risque des souffrances qui pourraient sur le moment s’ensuivre et des conséquences à venir, Hester Prynne demeurait fermement résolue à faire savoir au Révérend Dimmesdale quel homme s’était glissé dans son intimité. Durant plusieurs jours, elle s’efforça, mais en vain, de trouver l’occasion d’aborder le pasteur au cours des promenades qu’il avait l’habitude de faire, tout seul, au bord de la mer et sur les collines boisées du voisinage. Nul scandale ne se serait certes produit et la réputation sans tache du pasteur n’eût point été mise en péril si Hester était allée le trouver chez lui, dans son cabinet. Bien des pénitentes avaient, en effet, pénétré dans cette pièce pour confesser des fautes peut-être aussi sombres que celle que signalait la lettre écarlate. Mais, en partie parce qu’elle redoutait quelque intervention du vieux Roger Chillingworth, en partie parce que, étant consciente de la situation, elle craignait d’éveiller des soupçons alors que nul n’en aurait ressenti, en partie enfin parce que le pasteur et elle auraient besoin d’avoir autour d’eux la nature entière pour respirer tandis qu’ils parleraient ensemble, Hester ne songea pas un instant que leur rencontre pourrait avoir lieu ailleurs qu’à l’air libre.
Finalement, comme elle veillait un malade auprès duquel on appela le Révérend Dimmesdale pour dire une prière, Hester apprit que le jeune pasteur était parti la veille voir l’Apôtre Eliot {66} parmi les Indiens convertis. Il reviendrait sans doute le lendemain après-midi.
Hester se mit donc en route, le lendemain après-midi, avec la petite Pearl qui était nécessairement de toutes les expéditions de sa mère, que sa présence présentât ou non des inconvénients.
Après que les deux promeneuses se furent éloignées des côtes pour pénétrer dans l’intérieur des terres, leur route ne fut plus qu’un sentier s’enfonçant dans le mystère de la forêt primitive. Celle-ci le bordait si étroitement, se dressait si noire et si dense de chacun de ses côtés, ne laissait apercevoir que si imparfaitement le ciel tout là-haut, qu’Hester voyait en ce chemin l’image de la sauvage solitude morale où elle errait depuis si longtemps. Le jour était froid et sombre. Au ciel, une lourde masse de nuages se mouvait, malgré tout, un petit peu sous l’action d’une brise de sorte qu’un rayon de soleil descendait de temps à autre moirer le chemin, mais ce joyeux éclat passager n’apparaissait jamais que tout au bout de la percée que le sentier creusait parmi les arbres. La lumière dorée s’ébattait sans entrain dans ce paysage mélancolique et disparaissait au moment où Hester et Pearl s’approchaient, laissant l’endroit où elle venait de jouer d’autant plus sombre que les deux promeneuses avaient espéré le trouver brillant.
– Mère, dit la petite Pearl, le soleil ne vous aime pas. Il court se cacher parce qu’il y a sur votre poitrine quelque chose qui lui fait peur. Tenez, le voilà qui brille au bout du chemin. Restez là et je vais courir l’attraper. Je ne suis qu’une petite fille. Il ne se sauvera pas devant moi puisque je ne porte encore rien sur ma poitrine.
– Ni ne porteras jamais rien, j’espère, mon enfant, dit Hester.
– Et pourquoi non, Mère ? demanda Pearl en s’arrêtant net à l’instant de prendre sa course. Est-ce que ça ne viendra pas tout seul quand je serai devenue grande ?
– Dépêche-toi de courir attraper ce rayon de soleil, dit la mère, il va être bientôt parti.
Pearl s’élança à toutes jambes et Hester sourit en voyant l’enfant atteindre bel et bien l’endroit où brillait le soleil et s’y tenir en riant, animée par sa course et toute rayonnante. La lumière s’attardait autour de
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