La Liste De Schindler
Emalia, ajouta Amon, je veux que les travaux de la remise attenante à ma maison soient terminés. »
La nouvelle parvint à Adam Garde alors qu’il était dans sa baraque, la hutte 21, où s’alignaient les lits de camp superposés sur quatre étages. Il irait à Zablocie, mais après avoir subi une petite épreuve. Il faudrait qu’il s’occupe des travaux derrière la maison de Goeth où, comme auraient pu le lui dire Reiter et Grünberg, les règlements variaient suivant l’humeur du client.
Au moment où Garde prit en charge ce nouveau travail, on était en train de hisser les poutres de la charpente du toit. Pendant qu’il travaillait, il pouvait entendre les chiens du commandant, Rolf et Ralf, en train de renifler derrière lui. Amon les avait baptisés ainsi d’après une bande dessinée, ce qui ne les avait pas empêchés la semaine précédente d’arracher le sein d’une femme qu’Amon soupçonnait de tirer au flanc. Amon, qui se targuait d’avoir fait de brillantes études techniques, ne pouvait s’empêcher de venir de temps à autre jeter le coup d’œil du professionnel pour superviser la mise en place des poutres à l’aide d’un système de poulies. Il voulut poser une question au moment où l’on s’apprêtait à soulever la poutre maîtresse. C’était une poutre énorme taillée dans du sapin bien dur. Garde, qui se trouvait à l’autre extrémité de la poutre, ne parvenait pas à comprendre ce que lui voulait Goeth et mit sa main en cornet sur son oreille. Goeth répéta la question, et, pire que de n’avoir pas entendu, Garde ne la comprit pas. « Je ne comprends pas, Herr Kommandant », dit-il penaud. C’en était trop. Amon attrapa de ses deux grosses mains la poutre qu’on était en train de soulever, la balança et l’expédia en direction de l’ingénieur. S’apercevant que la poutre allait lui fracasser le crâne, Garde tenta de la retenir de sa main droite. C’est la main qui prit le choc, écrasée contre le mur, tandis que Garde tombait à terre. Quand il réussit à se relever, Amon avait disparu. Peut-être reviendrait-il le lendemain pour obtenir la réponse souhaitée.
Craignant de paraître handicapé, l’ingénieur Garde tenta de dissimuler sa main brisée en se rendant au dispensaire. Il cherchait à conserver une attitude normale, bien que sa main lui fît un mal atroce. Le Dr Hilfstein réussit à le convaincre qu’il fallait la plâtrer. Il continua à superviser la construction de la remise tout en se rendant chaque jour à Emalia en espérant que la manche de son pardessus dissimulerait son plâtre. Puis, un jour, craignant de se faire repérer, il retira le plâtre. Tant pis si sa main devait rester difforme. Ce qui importait, c’était de se faire transférer chez Schindler avec toutes les apparences de l’homme en bonne santé.
Dans la semaine qui suivit, transportant avec lui une chemise et quelques livres, il fut expédié rue Lipowa. Pour de bon.
(1) M… vit aujourd’hui à Vienne. Il ne veut pas que son véritable nom soit utilisé.
CHAPITRE 23
Parmi les prisonniers un peu au courant des choses, on commençait à s’agiter ferme pour obtenir un transfert à Emalia. Dolek Horowitz, qui faisait office d’intendant à Plaszow, savait qu’il était exclu de pouvoir aller chez Schindler. Mais il avait une femme et deux enfants.
Richard, le plus jeune des enfants, qui dormait sur la même paillasse que sa mère dans le quartier réservé aux femmes, se levait très tôt chaque matin de ce printemps, où la terre semblait suinter toute l’humidité accumulée pendant l’hiver, pour se rendre dans le campement des hommes, en bas de la colline, avec une seule chose en tête : la tranche de pain matinale. Il devait être avec son père sur l’Appellplatz pour l’appel du matin. Son itinéraire le conduisait devant le poste de police de Chilowicz. Mais on le connaissait, et il se sentait en sécurité. C’était un enfant Horowitz après tout. Herr Bosch qui passait des soirées à boire avec le commandant appréciait beaucoup son père. La liberté de mouvement que s’accordait Richard avait d’ailleurs la bénédiction de celui-ci. Le bambin trottinait, tout heureux, devant les miradors, s’engouffrait dans la baraque de son père, le secouait pour le réveiller et lui poser des questions.
Pourquoi y a-t-il du brouillard le matin et pas l’après-midi ? Est-ce que les camions vont venir ? Ça sera long
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