La Liste De Schindler
aujourd’hui sur l’Appellplatz ? On va battre quelqu’un ?
En écoutant le gamin poser de telles questions, Dolek Horowitz réalisait que Plaszow n’était pas l’endroit idéal, même pour un enfant privilégié. Peut-être pourrait-il contacter Schindler – Schindler venait de temps en temps au camp sous prétexte d’affaires et se trimbalait autour des bureaux de l’administration et des ateliers pour laisser ici et là quelques victuailles et pour prendre des nouvelles de ses vieux amis comme Stern, Roman Ginter ou Poldek Pfefferberg. S’apercevant qu’il n’était pas facile d’entrer en contact de cette manière, Dolek se demanda s’il ne pouvait pas le faire par l’entremise de Bosch. Dolek savait que les deux hommes se voyaient souvent. Pas tellement ici, mais dans des bureaux en ville ou dans des soirées. On avait remarqué qu’ils n’étaient pas particulièrement amis, mais ils avaient des affaires en commun et devaient se faire mutuellement des faveurs.
Richard n’était pas le seul ni le principal souci de Dolek. Le gamin parvenait à dissiper ses craintes en posant toutes sortes de questions. Mais il y avait Niusia, sa petite fille de dix ans, qui, elle, ne posait plus de questions du tout. Qui était sortie du royaume de l’enfance et qui, chaque jour – de sa fenêtre de l’atelier de fabrication de brosses où elle fixait le crin sur le support –, voyait les camions chargés de prisonniers traînant derrière eux un sillage d’épouvante qu’elle ne parvenait pas à combler en s’épanchant auprès de ses parents. Pour calmer sa faim, Niusia s’était mise à fumer des pelures d’oignon roulées dans du papier journal. Les rumeurs en provenance d’Emalia indiquaient qu’il n’était pas nécessaire de recourir là-bas à de telles méthodes.
Dolek décida donc d’aller parler à Bosch au cours d’une de ses visites à la fabrique de vêtements. Il comptait sur la gentillesse dont avait fait preuve Bosch auparavant pour qu’il en touchât un mot à Schindler. Il répéta plusieurs fois sa supplique ainsi que les noms de ses enfants de telle sorte que Bosch, dont la mémoire flottait souvent dans les vapeurs d’alcool, pût s’en souvenir.
— Herr Schindler est sans doute mon meilleur ami, dit Bosch. Il fera tout ce que je lui demanderai.
Cette conversation avait laissé Dolek sur sa faim. Sa femme Regina n’avait aucune qualification dans le domaine de la fabrication de casseroles ou d’obus. Bosch d’ailleurs ne fit plus jamais allusion à cette conversation. Et pourtant, une semaine plus tard, ils étaient sur la liste des partants pour Emalia, dûment approuvée par le commandant Goeth qui n’était pas resté insensible au petit cadeau de bijoux qu’il venait de recevoir. Niusia qui, malgré ses dix ans, avait l’air d’une petite adulte maigrichonne, se retrouva donc dans les baraques des femmes d’Emalia. Quant à Richard, il continua à circuler comme il l’avait fait à Plaszow. Tout le monde le connaissait aussi bien dans l’usine de casseroles que dans l’atelier de munitions, et les gardes le traitaient avec une certaine familiarité. Regina espérait qu’Oskar viendrait un jour dans les ateliers et lui demanderait : « Ainsi, vous êtes la femme de Dolek Horowitz ? » Et là, le problème serait de savoir comment le remercier. Mais il ne vint pas. Elle se rassurait en se disant qu’elle, comme sa fille, passait assez inaperçue rue Lipowa. Elle pensait cependant qu’Oskar savait qui elles étaient, car il bavardait de temps en temps avec Richard. Les questions que leur posait désormais Richard leur faisaient apprécier l’étendue du cadeau qui leur avait été accordé.
Il n’y avait pas à Emalia un commandant de camp pour tyranniser les prisonniers, pas de gardes en permanence. La garnison qui assurait la surveillance du camp annexe – deux camions pleins de SS et d’Ukrainiens – était relevée toutes les quarante-huit heures. Les soldats de Plaszow avaient d’ailleurs Emalia à la bonne. Les popotes de Herr Direktor, plus primitives encore que celles de Plaszow, mitonnaient une meilleure cuisine. Chaque fois qu’un garde se permettait d’entrer dans l’enceinte du camp, Herr Direktor ne manquait pas de donner un coup de téléphone furibond à l’Oberführer Scherner. Aussi les soldats se le tenaient-ils pour dit et restaient à l’extérieur. Ils trouvaient leur tour de garde un peu ennuyeux, mais pas trop
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