La Liste De Schindler
se pointaient donc dans la fabrique de vêtements de Madritsch avec quelques heures de retard, et plus tard encore chez Oskar, rue Lipowa. De plus, ils arrivaient complètement traumatisés, incapables de se concentrer, ressassant ce qu’Amon ou John ou Scheidt ou d’autres avaient bien pu faire ce matin-là. Oskar en toucha un mot à un ingénieur de ses connaissances qui travaillait à l’Inspection des armements. « Inutile de se plaindre auprès des chefs de la police, lui dit celui-ci. Ils ne font pas la même guerre que nous. » « Ce qu’il faudrait, suggéra Oskar, c’est pouvoir garder mes gens dans l’enceinte même de l’usine. Avoir en quelque sorte mon propre camp. » L’idée parut amusante à l’ingénieur :
— Mais où les mettrez-vous, mon vieux ? demanda-t-il. Vous n’avez pas tellement de place.
— Si je peux acquérir le terrain, poursuivit Oskar, est-ce que vous ferez une lettre dans ce sens ?
Quand l’ingénieur eut accepté, Oskar téléphona aux Bielski, un couple de vieillards qui habitaient rue Stradom. Est-ce qu’ils accepteraient une offre d’achat pour le terrain jouxtant son usine ? Il traversa la Vistule pour aller leur rendre visite. Les bonnes manières d’Oskar charmèrent le vieux couple. Comme il avait horreur des discussions de marchand de tapis, il leur proposa un prix tout à fait extravagant pour l’époque. Très excités, les vieilles gens lui offrirent du thé tandis qu’ils appelaient leur notaire pour qu’il établisse immédiatement les documents nécessaires pendant qu’Oskar était encore là. Une fois sorti de leur appartement, Oskar crut bon d’aller rendre une visite de courtoisie à Goeth pour lui annoncer qu’il avait l’intention de créer un petit camp annexe de Plaszow contigu à son usine. Amon était ravi.
— Si les généraux SS sont d’accord, dit-il, vous pouvez compter sur moi. A tout le moins, tant que vous ne voudrez pas dévoyer mes musiciens et ma servante.
Le rendez-vous officiel fut pris pour le jour suivant avec l’Oberführer Scherner de la rue Pomorska. Amon, comme le général Scherner, pensait que d’une manière ou d’une autre Oskar pourrait être amené à payer pour les installations du nouveau camp. Ils en furent persuadés quand Oskar développa ses arguments sur la productivité.
— Si mes ouvriers sont sur place, les cadences de travail seront beaucoup plus rapides.
Ce n’était pas la seule raison, et Oskar poussait à la roue parce que sa conscience lui disait de le faire, quel qu’en soit le prix. Les autres voyaient en lui un homme très sympathique mais qui avait été atteint d’une sorte de tendresse projuive, comme on peut l’être d’un virus. Les théories SS avaient pour corollaire que l’influence juive avait à ce point contaminé le monde qu’elle avait partout laissé des traces. Ce bon Oskar devait être sujet de pitié, comme le prince qui redevient grenouille. Mais il devrait payer pour ça.
Bien que Plaszow ne fût pas placé sous l’autorité directe de l’Office central SS pour les affaires administratives et économiques du général Oswald Pohl dont dépendait la section des camps de concentration, les règlements qui s’appliquaient – sous la férule de l’Obergruppenführer Friedrich-Wilhelm Krüger, chef de la police du gouvernement général et supérieur de Scherner et Czurda – respectaient les mesures en vigueur. Les règles de base SS pour l’installation d’une annexe à un camp de travaux forcés exigeaient la construction de barrières ne mesurant pas moins de deux mètres soixante-dix, de miradors placés à intervalles irréguliers selon la topographie du camp, de latrines, de baraquements, d’un dispensaire, d’un cabinet de dentiste, de bains-douches et d’un lavoir, d’une échoppe de coiffeur, d’un magasin d’alimentation, d’un bureau de surveillance, d’habitations en dur pour les gardes, sans compter quelques autres bizarreries…
La proposition d’Oskar leur convenait d’autant plus qu’il était prêt à payer. Il y avait encore un ghetto à Tarnow, à quelque soixante-quinze kilomètres à l’est, et quand il serait supprimé, Plaszow hériterait de ces gens-là. Comme il héritait déjà des milliers de juifs arrivant des shtetls du sud de la Pologne. Une annexe dans la rue Lipowa absorberait le trop-plein.
Amon, bien qu’il ne le dît jamais aux chefs de la police, avait lui aussi très bien compris qu’il
Weitere Kostenlose Bücher