La Liste De Schindler
n’aurait pas besoin de fournir à l’annexe de Lipowa la ration alimentaire minimale prescrite dans les directives du général Pohl. Lui, qui pouvait impunément « tirailler » de sa maison sur tout ce qui bougeait et qui partageait l’idée communément admise en haut lieu qu’il fallait dégraisser les effectifs de Plaszow, vendait déjà au marché noir une partie des rations alimentaires du camp par l’intermédiaire d’un de ses agents, le juif Wilek Chilowicz, qui avait de bons contacts avec des directeurs d’usine, des boutiquiers et même des restaurateurs de Cracovie.
Le Dr Alexander Biberstein, lui aussi prisonnier à Plaszow, estimait que les rations alimentaires quotidiennes variaient entre sept cents et mille cent calories. Pour le petit déjeuner, un prisonnier touchait un demi-litre d’ersatz de café, quelques glands et une tranche de pain de seigle pesant cent soixante-quinze grammes minutieusement coupée par les cuistots qui allaient chercher les miches chaque matin à la boulangerie. La faim étant mauvaise conseillère, chaque cuistot coupait les tranches en tournant le dos aux groupes de prisonniers pour demander ensuite : « Qui veut celle-ci ? Qui veut celle-là ?» A midi, une soupe – carottes, betteraves, rutabagas. Certains jours elle était plus consistante que d’autres. Mais le meilleur venait avec les équipes de travail qui rentraient le soir. On pouvait cacher un petit poulet sous un manteau ou un morceau de pain dans une jambe de pantalon. Amon avait donné des instructions aux gardes pour qu’ils fouillent les équipes rentrant au crépuscule. Le trafic alimentaire était son domaine réservé. De plus, il ne voulait pas que la diète à laquelle il soumettait les prisonniers – et qui devrait peu à peu éliminer les moins aptes – pût être compensée de quelque manière que ce fût. Si Oskar choisissait de nourrir ses juifs, c’était son affaire. Mais qu’on ne compte pas sur lui pour dilapider les réserves de farine ou de betteraves détenues à Plaszow.
Au cours de ce printemps, Oskar dut non seulement s’acquérir les bonnes grâces des chefs de la police, mais aussi celles de ses voisins. L’usine de radiateurs de Kurt Hoderman, attenante aux misérables cabanes construites avec les planches de Jereth, employait une bonne quantité de Polonais et une centaine de prisonniers de Plaszow. De l’autre côté, il y avait la fabrique de caisses de Jereth dirigée par Kuhnpast, un ingénieur allemand. Les gens de Plaszow ne représentaient qu’une infime partie de leur personnel. Mais enfin, ils n’étaient pas contre l’idée dans la mesure où Oskar leur proposait d’abriter leurs juifs à cent mètres de leurs machines au lieu de cinq kilomètres.
Une autre démarche d’Oskar consista à aller voir l’ingénieur Schmilewski du bureau de la Wehrmacht situé à quelques rues de son usine. Un voisin, en quelque sorte. Il employait lui-même un petit groupe de prisonniers de Plaszow. Il ne fit aucune objection. Dans la demande qu’il soumit à la rue Pomorska, Schindler ne manqua pas de mentionner le nom de l’ingénieur Schmilewski au même titre que ceux de Kuhnpast et Hoderman.
Des inspecteurs SS se rendirent à Emalia et s’entretinrent avec l’inspecteur Steinhauser, un vieil ami d’Oskar qui appartenait à l’Inspection des armements. Ils examinèrent le site, fronçant les sourcils comme tout inspecteur qui se respecte se doit de le faire, soulevant des problèmes de terrassement et d’écoulement des eaux. Oskar les invita très amicalement à venir prendre une tasse de café arrosée de cognac dans son bureau. Tout le monde était enchanté. Il ne fallut que quelques jours pour que la demande d’Oskar fût acceptée.
Cette année-là, la DEF présenta un bénéfice de quinze millions huit cent mille Reichsmark. On peut penser que les trois cent mille Reichsmark qu’Oskar dut dépenser pour aménager son camp constituèrent une somme importante, certes, mais pas fatale. En fait, il ne faisait que commencer de payer.
Oskar envoya une requête au Bauleitung, l’office des travaux publics de Plaszow, pour obtenir les services d’un jeune ingénieur répondant au nom d’Adam Garde. Garde, qui n’en avait pas terminé avec la construction des baraquements de Plaszow, laissa des instructions aux contremaîtres avant d’être emmené rue Lipowa, pour superviser la mise en chantier du camp d’Oskar. Une fois sur le terrain, il
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