La Liste De Schindler
Emalia le rabbin Menasha Levartov qui s’était reconverti à Plaszow en ouvrier métallurgiste. Levartov, un jeune et docte rabbin des villes portant une épaisse barbe noire, était plus libéral que les rabbins des shtetls de Pologne, ceux qui croyaient que le respect du sabbat était plus important que la vie et qui, au cours des années 1942 et 1943, furent fusillés par centaines chaque vendredi soir parce qu’ils refusaient les travaux auxquels ils étaient astreints. C’était le type d’homme qui, même en temps de paix, aurait enseigné à ses fidèles que Dieu, pour autant qu’il se sentît honoré par le respect des traditions religieuses, acceptait aussi qu’il faille parfois les transgresser.
Itzhak Stern, qui travaillait au bureau de la construction dans les services administratifs d’Amon Goeth, était un fervent admirateur de Levartov. A la bonne époque, quand ils en avaient la possibilité, Stern et Levartov pouvaient discuter pendant des heures autour d’un verre d’hebarta à propos de l’influence de Zoroastre sur le judaïsme ou l’inverse, ou sur le concept de la nature dans le taoïsme. Quand il s’agissait de l’étude comparative des religions, Stern avait beaucoup plus de plaisir à discuter avec Levartov qu’avec Oskar Schindler qui se piquait de philosophie et avait la fâcheuse manie de vouloir discourir sur ces mêmes sujets.
Au cours d’une visite d’Oskar à Plaszow, Stern lui dit qu’il fallait absolument que Menasha Levartov aille à Emalia, faute de quoi Goeth finirait certainement par le tuer. Car Levartov ne passait pas inaperçu. Sa simple présence le faisait remarquer. Et Goeth n’appréciait pas tellement ce genre d’individus. C’était, au même titre que les tire-au-flanc, une des priorités sur sa liste noire. Stern raconta à Oskar que Goeth avait déjà tenté d’exécuter Levartov.
Il y avait déjà plus de trente mille personnes dans le camp d’Amon Goeth. A l’extrémité de l’Appellplatz, près de la chapelle mortuaire juive désormais transformée en écurie, un vieux hangar abritait à lui seul plus de mille deux cents prisonniers. L’Obergruppenführer Krüger fut si satisfait du camp au cours d’une tournée d’inspection qu’il nomma le commandant Hauptsturmführer. Goeth était monté de deux grades d’un seul coup.
Plaszow n’était pas réservé aux seuls Juifs polonais. Certains venant de l’Est ou de Tchécoslovaquie restaient là en transit en attendant que les installations d’Auschwitz-Birkenau et de Gröss-Rosen fussent terminées. Il y avait parfois plus de trente-cinq mille personnes sur l’Appellplatz. Amon était donc obligé d’opérer un tri parmi les prisonniers de la première vague pour faire place aux autres. Oskar connaissait les méthodes expéditives du commandant : il entrait dans un bureau ou dans un atelier, faisait former deux rangs et décidait de se débarrasser de l’un ou de l’autre. La colonne montait en rang par deux soit vers le fort autrichien pour exécution immédiate, soit vers la gare de Cracovie-Plaszow pour être embarquée dans des wagons à bestiaux, soit – quand l’embranchement fut terminé à l’automne 1943 – au départ de la ligne ferroviaire proche des baraques des SS.
Quelques jours auparavant, Amon s’était rendu dans l’usine de métallurgie pour opérer un tri. Les chefs d’équipe s’étaient mis au garde-à-vous, anxieux de faire leur rapport et sachant qu’un mot de trop pouvait les envoyer au peloton d’exécution.
— J’ai besoin de vingt-cinq ouvriers, dit Amon après avoir écouté les rapports. Vingt-cinq et pas plus. Montrez-moi un peu ceux qui sont qualifiés.
Un des chefs d’équipe pointa son doigt vers Levartov qui rejoignait le groupe en cours de sélection tout en s’apercevant qu’Amon le regardait d’un air bizarre. Personne ne savait jamais quel rang allait être expédié ailleurs, ni où. Mais dans la plupart des cas, il valait mieux se trouver dans le groupe des ouvriers qualifiés.
Le tri se poursuivit. Levartov remarqua que les ateliers étaient étrangement vides ce matin-là. Il est vrai que ceux qui devaient se rendre à l’extérieur pour un travail quelconque ou qui se trouvaient près de la porte avaient eu vent de l’arrivée de Goeth et avaient filé vers l’usine de vêtements de Madritsch, soit pour se planquer derrière les piles d’uniformes, soit pour faire semblant de chercher une machine à coudre.
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