La Liste De Schindler
là que quelques jours, pas assez longtemps en tout cas pour être présents pendant toute la durée des cérémonies religieuses de Hiddushin et de Nissuin. On les expédiait rapidement vers les fours crématoires où ils accompliraient le dernier acte de leur sacerdoce.
Josef épousa Rebecca au cours de la soirée d’un dimanche de février où il faisait particulièrement froid. Il n’y avait pas de rabbin. L’officiante fut la mère de Josef, Mme Bau. En tant que juifs réformés, ils pouvaient se dispenser de certains rites exigés par les orthodoxes. Mme Bau avait dissimulé sous une poutre deux bagues réalisées dans l’atelier de Wulkan, le joaillier, à partir d’une cuiller d’argent. Rebecca tourna sept fois autour de Josef, et Josef écrasa le verre symbolique – une ampoule hors d’usage récupérée dans les bureaux de la construction – sous son talon.
On avait libéré une des paillasses supérieures pour les jeunes mariés. Pour qu’ils se sentent plus à l’aise, on l’avait entourée de couvertures. Les vieilles plaisanteries d’usage circulaient à la ronde pendant que Josef et Rebecca grimpaient dans leur nid d’amour. La tradition polonaise voulait que chaque noce fût un événement où l’on puisse, à un moment ou à un autre, donner libre cours aux péroraisons salaces. Si les invités de la noce se sentaient trop timorés pour jouer sur le registre gaillard, on louait un bouffon professionnel. Des dames qui dans les années 20 ou 30 auraient pris l’air pincé aux facéties du bouffon – s’accordant de temps à autre un sourire pour montrer qu’elles n’étaient quand même pas nées d’hier tandis que leurs bonshommes s’esclaffaient bruyamment – se firent un honneur de remplacer ce soir-là tous les bouffons de Pologne que la guerre et la mort leur interdisaient d’avoir parmi elles.
Josef et Rebecca avaient à peine passé dix minutes ensemble sur la paillasse du haut que les lumières s’allumèrent dans la baraque. Josef, écartant les couvertures, vit l’Untersturmführer Scheidt en train d’examiner soigneusement les rangées de paillasses. La chance l’aurait-elle abandonné ? Ils devaient s’être aperçus qu’il manquait et, bien évidemment, ils avaient envoyé un des sbires les plus odieux à sa recherche. Amon avait été aveugle, l’autre jour devant sa villa, uniquement parce qu’il fallait que ce soit ce salaud de Scheidt qui vienne le tuer pendant sa nuit de noces !
Et toutes ces femmes – sa mère, son épouse, les témoins, celles qui avaient lancé les plaisanteries les plus gentiment embarrassantes –, toutes étaient dans le coup. Il se mit à murmurer des excuses, à demander pardon.
— Chut ! fit Rebecca.
Elle défit l’écran formé par les couvertures, estimant qu’à cette heure tardive Scheidt n’allait pas grimper sur une paillasse d’en haut, à moins de trouver quelque bonne raison de le faire. Quelques femmes se mirent à passer à Rebecca leurs minces oreillers bourrés de paille. Josef était peut-être responsable de toute cette affaire, mais maintenant, il devenait l’enfant à protéger. Rebecca étala les oreillers sur lui. Scheidt passa devant elle et sortit par la porte de derrière. On éteignit les lumières. Quelques plaisanteries bien terre à terre fusèrent encore. Les jeunes mariés étaient seuls à nouveau.
Quelques minutes plus tard, les sirènes se mirent à mugir. Tout le monde se redressa dans l’obscurité. Pour Bau, cela signifiait qu’ils avaient bien l’intention de mettre son mariage à la trappe. Ils avaient trouvé sa paillasse vide dans le quartier des hommes et voilà qu’ils étaient partis à la chasse.
Les femmes se rassemblaient dans l’obscurité. Elles aussi savaient de quoi il était question. De sa paillasse, Josef entendait leurs commentaires. Elles allaient mourir parce qu’il avait choisi d’aimer comme on le faisait autrefois. L’Alteste, la responsable de la baraque qui s’était montrée si généreuse, serait fusillée la première quand reviendraient les lumières et qu’ils découvriraient le jeune marié dans ses oripeaux féminins.
Il se vêtit, donna un rapide baiser à sa femme, descendit de la paillasse, et se mit à courir. La neige était sale, le mugissement des sirènes lui perçait les oreilles. Quand les lumières s’allumeraient, qui empêcherait les gardes à l’affût sur les miradors de l’apercevoir en train de courir avec une
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