La Liste De Schindler

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    La lettre qu’il avait envoyée à Oskar pour être remise à qui de droit à Oranienburg avait été précédée de quelques coups de téléphone. Lettre et appels allaient dans le même sens : Herr Schindler, avec son matériel de cuisine et ses obus antitanks de quarante-cinq millimètres, était considéré par l’Inspection des armements comme un collaborateur exemplaire dans la lutte pour la survie de la nation. Il avait réussi à former une équipe de travailleurs hautement spécialisés, et l’on devrait faire le maximum pour permettre à cette équipe de poursuivre ce travail essentiel sous la supervision de Herr Direktor Schindler.
    L’officier, dûment impressionné, dit à Herr Schindler qu’il allait lui parler très franchement. Rien n’indiquait que l’on dût modifier le statut ou le nombre des prisonniers du camp de Zablocie. Mais Herr Direktor devait comprendre que la situation des juifs, même s’il s’agissait de travailleurs qualifies, était toujours aléatoire. Prenez le cas d’Ostindustrie, l’agence SS chargée de recruter des travailleurs, par exemple. Elle emploie des prisonniers dans des tourbières, dans une usine de brosses et dans une fonderie à Lublin, dans des usines d’appareillage à Radom, dans des tanneries à Trawniki. Mais dans d’autres camps de travail, certains SS n’arrêtent pas de fusiller les gens, à tel point qu’Ostindustrie n’a pratiquement plus de raison d’être. Dans ces camps de la mort, les responsables ne gardent jamais un pourcentage suffisant de prisonniers pour la main-d’œuvre industrielle. Cela a donné lieu à de nombreux échanges de correspondance, mais ces messieurs sur le terrain ne veulent rien entendre.
    — Toutefois, ajouta l’officier en tapotant la lettre de Lange, je ferai tout mon possible.
    — Je comprends très bien votre problème, dit Oskar avec un sourire radieux. Si je puis vous exprimer ma reconnaissance d’une manière ou d’une autre…
    En fin de compte, Oskar quitta Oranienburg avec au moins quelques garanties sur la pérennité de son entreprise.
    Le nouveau statut de Plaszow eut pour conséquence immédiate de contrarier les affaires de cœur, dans la mesure où l’on se mit à appliquer la ségrégation des sexes comme l’exigeait une des nombreuses circulaires mitonnées par l’Office principal SS pour les affaires économiques et administratives. Les barrières entre les lieux d’hébergement des hommes et des femmes, celles qui entouraient les ateliers, celles qui entouraient les camps furent toutes électrifiées. Les instructions de l’Office principal spécifiaient le voltage requis, la densité des fils conducteurs et le nombre d’isolateurs nécessaires. Amon et ses collaborateurs imaginèrent tout de suite quelle pourrait être la contribution de ces nouvelles mesures au renforcement de la discipline. Ils pourraient désormais obliger des prisonniers à se tenir debout vingt-quatre heures d’affilée dans l’espace qui séparait la clôture d’origine de la nouvelle clôture électrifiée. S’ils s’écroulaient de fatigue, ils savaient qu’ils recevraient une décharge de quelques centaines de volts. Mundek Korn, par exemple, qui revint un soir avec une équipe où un prisonnier manquait à l’appel, dut se tenir debout dans cet étroit corridor pendant toute une nuit et un jour.
    Mais plus encore que le risque d’être soumis à cette nouvelle forme de torture, l’impact psychologique de cette mesure qui, de l’appel du soir jusqu’au réveil, séparait les hommes des femmes par un courant électrique, fut ressenti durement par les prisonniers. Les contacts étaient désormais réduits à la petite phase préparatoire au rassemblement sur l’Appellplatz, en attendant que l’ordre de former les rangs fût donné. Les couples essayaient de se retrouver quelques instants en sifflant le même air, chacun tendant l’oreille pour percevoir le sifflet ami. Les instructions provenant de l’Office principal SS du général Pohl obligeaient ainsi les prisonniers à recourir aux stratagèmes des oiseaux. Rebecca et Josef purent poursuivre leur roman d’amour grâce au code qu’ils avaient adopté d’un commun accord.
    Josef réussit un peu plus tard à se procurer la robe d’une prisonnière décédée. Une fois l’appel terminé chez les hommes, il se rendait aux latrines pour s’affubler de la robe, se plaçait sur la tête le bonnet réglementaire et allait