La Liste De Schindler
Quand la fille avait fini de taper ses mémos, Pemper lui prenait les carbones sous prétexte de les détruire. En fait, il les lisait et tentait d’en mémoriser le plus possible. Il pensait que si, un jour ou l’autre, Amon devait se retrouver devant un tribunal, la précision de son témoignage stupéfierait le commandant.
Des documents confidentiels tout à fait étonnants lui passèrent ainsi entre les mains. L’un, par exemple, traitait de la flagellation des femmes. On rappelait aux commandants de camp qu’ils devaient l’exercer avec le maximum d’efficacité. Dans la mesure où il aurait été dégradant d’impliquer un SS dans ce type de punition, les femmes slovaques devraient être flagellées par des femmes tchèques et vice versa. Même chose pour les Polonaises et les Russes. Les commandants devaient faire preuve d’imagination pour exploiter au maximum les rancœurs patriotiques et les différences culturelles.
Une autre circulaire leur rappelait qu’ils ne détenaient pas le pouvoir d’imposer la peine de mort. Les commandants devraient obtenir au préalable l’autorisation, soit par télégramme, soit par lettre au Bureau principal de la sûreté du Reich. Amon avait sollicité cette autorisation après que deux juifs du camp annexe de Wieliczka se furent échappés. Il se proposait de les pendre. Comme le remarqua Pemper, un télégramme signé du Dr Ernst Kaltenbrunner, chef du Bureau principal de la sûreté du Reich, l’y autorisa aussitôt.
En avril, Pemper eut sous les yeux un mémorandum du général Gerhard Maurer, patron du service de répartition de la main-d’œuvre au sein de la section D du général Glücks. Maurer voulait savoir combien de Hongrois Plaszow pourrait éventuellement héberger. La Hongrie n’étant devenue que récemment un protectorat allemand, les juifs et les dissidents hongrois étaient en meilleure condition que ceux qui avaient derrière eux quelques années de prison ou de ghetto. Ils étaient destinés à Auschwitz. Malheureusement l’hébergement prévu là-bas n’était pas encore prêt. Si le commandant de Plaszow pouvait en accommoder sept mille en transit, la section D lui en serait très obligée.
Selon Pemper, Goeth répondit que Plaszow était à la limite de ses capacités, et qu’il n’y avait plus de terrains disponibles, à l’intérieur de la zone électrifiée, pour construire des baraquements. Amon pourrait cependant accepter jusqu’à dix mille prisonniers en transit aux deux conditions suivantes : a. autorisation de liquider les éléments improductifs à l’intérieur du camp ; b. faire coucher les prisonniers à deux par paillasse. Maurer répliqua que le doublement des capacités des dortoirs ne pouvait pas être autorisé en été par crainte du typhus ; les règlements stipulaient qu’il fallait en principe un minimum de trois mètres cubes d’air par personne. En revanche, il était prêt à accorder suite à la première demande. La section D aviserait Auschwitz-Birkenau ou, à tout le moins, les services d’extermination de l’entreprise de se tenir prêts à accueillir un convoi de prisonniers inopérationnels en provenance de Plaszow. Les services ferroviaires de l’Ostbahn organiseraient le transport par wagons à bestiaux, y compris sur le petit embranchement menant à Plaszow.
Amon, du coup, allait devoir opérer un tri à l’intérieur du camp.
Avec la bénédiction de Maurer et de la section D, il allait supprimer quotidiennement autant de vies qu’Oskar Schindler s’efforçait d’en protéger à Emalia à force d’astuce et d’argent. Die Gesundheitaktion (action sanitaire), c’est le nom que donna Amon au nouveau service créé pour opérer la sélection.
Il organisa l’affaire comme il l’aurait fait pour une foire campagnarde. Le dimanche 7 mai, des banderoles avaient été tendues sur l’Appellplatz :
« Pour chaque prisonnier, un travail approprié ! »
Les haut-parleurs diffusaient de la musique folklorique, du Strauss, de la chansonnette. Une table avait été dressée derrière laquelle se trouvaient le Dr Blancke, le médecin SS, le Dr Léon Gross, et quelques employés de bureau. Les critères de santé, tels que les envisageait le Dr Blancke, n’étaient ni plus ni moins tordus que chez la plupart de ses collègues SS. Il avait débarrassé l’infirmerie de la prison des malades chroniques en leur injectant de l’essence dans les veines. Euthanasie, certes, mais pas
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