La Liste De Schindler
susceptibles d’accueillir les usines que l’avance russe obligeait à fermer. Il y avait à Brinnlitz, un village très proche de Zwittau, la ville natale d’Oskar, une grosse usine de textile qui appartenait aux frères Hoffman de Vienne. A Vienne, ils donnaient dans les produits laitiers, mais ils étaient venus dans les Sudètes avec l’armée allemande (exactement ce qu’avait fait Oskar à Cracovie), et avaient réussi à créer un petit empire dans le textile. Il y avait là-bas un immense atelier qui ne servait qu’à entreposer les machines tombées en désuétude. L’usine était reliée par voie ferrée à la gare de Zwittau où le beau-frère d’Oskar dirigeait le service marchandises.
— Les frères Hoffman sont des profiteurs de guerre, dit Sussmuth en souriant. Ils ont des appuis locaux : le conseil régional et le chef du district sont dans leur poche. Mais vous, vous avez le colonel Lange derrière vous.
Sussmuth promit qu’il écrirait immédiatement à Berlin pour recommander qu’on fît bon usage de l’entrepôt des Hoffman.
Oskar connaissait Brinnlitz depuis son enfance. C’était un village peuplé d’Allemands. Les Tchèques, eux, l’auraient baptisé Brnenec. Les citoyens de Brinnlitz ne seraient sans doute pas très enthousiastes à l’idée d’accueillir un millier de juifs ou plus dans leur vicinité. Les gens de Zwittau où Hoffman recrutait une partie de sa main-d’œuvre ne seraient pas chauds non plus. Cette contamination de leur petite ville rustico-industrielle à ce stade, de la guerre ne pourrait guère que leur apporter des ennuis.
Oskar décida quand même d’aller repérer le site. Il préféra s’abstenir de rendre visite aux Hoffman. L’un des frères, P.-D.G. de l’entreprise, avait la réputation d’être un coriace, et il ne voulait surtout pas lui mettre la puce à l’oreille. Il put cependant se promener dans l’entrepôt qu’il lorgnait sans être inquiété. C’était un bâtiment vieillot de deux étages qui donnait sur une cour de bonnes dimensions. Au niveau du sol, les plafonds étaient hauts. On y avait entreposé des vieilles machines et des ballots de laine vierge. Le premier étage pourrait faire office de bureau et d’atelier pour la petite machinerie. Le plancher ne serait pas assez résistant pour accueillir les grosses presses. Mais il y avait suffisamment de place au niveau du sol pour installer les grosses machines de la DEF et réserver un petit coin pour l’appartement du directeur. On ferait au premier étage un dortoir pour les prisonniers.
L’endroit convenait parfaitement à Oskar. Il repartit à Cracovie bien déterminé à tout faire : il dépenserait ce qu’il faudrait. Il irait voir Madritsch à nouveau. Car Sussmuth pourrait peut-être aussi repérer un coin pour Madritsch. Il devait bien y avoir à Brinnlitz d’autres vieilles usines qui ne servaient à rien.
Il découvrit à son retour qu’un bombardier allié, descendu par un avion de chasse de la Luftwaffe, s’était écrasé sur les deux dernières baraques qui faisaient fonction de prison. La carlingue noircie se dressait piteusement sur les décombres.
Il ne restait guère à Emalia que quelques prisonniers affectés à la maintenance. Ils avaient vu l’avion tomber en flammes. Deux membres de l’équipage avaient été tués. Les gens de la Luftwaffe qui étaient venus sur place avaient dit à Adam Garde qu’il s’agissait d’un bombardier Stirling et que les morts étaient australiens. L’un tenait encore dans ses mains les restes carbonisés d’une bible. Deux autres membres de l’équipage avaient sauté en parachute. L’un avait été retrouvé mort, emmêlé dans ses cordes dans une forêt environnante. L’autre avait été recueilli par les partisans. Le bombardier devait larguer des caissons de vivres et de munitions aux partisans qui tenaient les forêts situées à l’est de Cracovie.
Si Oskar avait eu besoin de quelque élément nouveau pour lui donner raison, c’en était un. Des gens venus d’un misérable trou d’Australie étaient morts pour que Cracovie change de mains. Il téléphona immédiatement au fonctionnaire de l’Ostbahn en charge du roulement du matériel et l’invita à dîner afin de discuter des dispositions qu’il comptait prendre pour évacuer la DEF.
Une semaine après l’entrevue Oskar-Sussmuth, le ministère des Armées avertit le gouverneur de Moravie que la fabrique d’obus de Herr
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