La Liste De Schindler
le sentait aussi stupéfait que Helena Hirsch de la tournure prise par les événements. S’il existait une chose au monde qui pût lui donner quelque espoir de survivre, c’était bien l’arrestation d’Amon. Car il savait parfaitement combien de temps il lui restait à vivre : une fois les Russes parvenus à Tarnow, Amon dicterait sa dernière lettre et assassinerait son dactylo. Pour Mietek, il fallait donc à tout prix qu’Amon ne fût pas libéré trop tôt.
Mais les enquêteurs n’étaient pas seulement intéressés par les bonnes affaires d’Amon. L’Oberscharführer Lorenz Landsdorfer avait dit à l’enquêteur SS qui interrogeait Pemper que le Hauptsturmführer Goeth avait dicté à son sténo des directives destinées à la garnison du camp, en cas d’une attaque par les partisans. Amon avait expliqué à Pemper la façon dont ces directives devraient être tapées et lui avait même montré, comme exemple, des directives du même ordre concernant d’autres camps de concentration. L’enquêteur, effrayé à l’idée qu’un juif eût pu être mis au courant de documents aussi secrets, ordonna l’arrestation immédiate de Pemper.
Ce dernier passa deux semaines misérables dans une cellule attenante aux baraques des SS. Il ne fut pas maltraité, mais les enquêteurs du bureau V et deux juges SS l’interrogèrent quotidiennement. Il croyait lire dans leurs regards que la seule chose à faire serait de le fusiller. Au cours d’un de ses interrogatoires, Pemper finit par leur dire :
— Pourquoi me gardez-vous ici ? Une prison en vaut une autre. Et de toute façon, je suis condamné à vie.
Il voulait que cessent les tergiversations : ou on le relâchait, ou on le fusillait. Pemper passa quelques heures pénibles pendant que ses juges se concertaient. Finalement, la porte de sa cellule s’ouvrit et on lui dit de regagner sa baraque. Ce ne serait pas la dernière fois, cependant, que Pemper serait interrogé sur les affaires du commandant Goeth.
Les subordonnés et amis d’Amon ne se pressaient pas pour aller témoigner en sa faveur. Prudence d’abord. Ils attendaient de voir la tournure des choses. Bosch, qui avait tellement bu à la table du commandant, avait dit à l’Untersturmführer John qu’il serait dangereux d’essayer de soudoyer ces enquêteurs déterminés du bureau V. Quant au supérieur d’Amon, Scherner, il avait été envoyé faire la chasse aux partisans. Il finirait par être tué dans une embuscade montée dans les forêts de Niepolomice. Amon se trouvait donc entre les mains de gens d’Oranienburg qui n’avaient jamais participé aux soirées de la Goeth-haus – ou s’ils l’avaient fait, ils en avaient conçu soit du dégoût, soit de la jalousie.
Une fois relâchée, Helena Hirsch, qui travaillait désormais pour le nouveau commandant, le Hauptsturmführer Büscher, reçut une missive amicale d’Amon lui demandant de lui expédier un paquet contenant quelques vêtements, quelques livres, romans et polars, et quelques bonnes bouteilles qui le réconforteraient dans sa cellule. C’était une lettre qui aurait pu lui être envoyée par quelqu’un de la famille. Auriez-vous la gentillesse de rassembler quelques objets ? pouvait-on lire. Et pour finir : J’espère vous revoir très bientôt.
Oskar ne perdait pas son temps. Il s’était rendu dans la petite ville de Troppau pour y rencontrer l’ingénieur Sussmuth. Il avait à tout hasard pris avec lui quelques bouteilles de cognac et quelques diamants, mais il se trouva qu’il n’en eut pas besoin. Sussmuth dit à Oskar qu’il avait déjà proposé l’installation de quelques camps de travailleurs juifs aux confins de la Moravie afin de continuer à produire le matériel que réclamait l’Inspection des armements. Ces camps seraient placés sous le contrôle d’Auschwitz ou de Gröss-Rosen dans la mesure où ces deux établissements étendaient leur juridiction sur un territoire qui débordait les frontières polono-tchécoslovaques. Mais les travailleurs y seraient plus en sécurité que dans les grandes nécropoles comme Auschwitz.
Sussmuth s’était cassé les dents. Le gouverneur de Moravie avait repoussé toutes ses propositions. Mais il n’avait jamais eu d’appuis en haut lieu. Or voici qu’Oskar se présentait. Oskar qui avait le soutien du colonel Lange et des services du redéploiement. Ça pourrait être l’appui qui lui manquait.
Sussmuth disposait d’une liste des sites
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