La Liste De Schindler
c’est vrai qu’il était moins flambeur, moins caractériel. Il n’avait jamais été mis en état d’arrestation. Mais il avait poussé la compassion humaine jusqu’à ses extrêmes limites et il aurait sans doute terminé ses jours à Auschwitz s’il ne s’était pas révélé astucieux et énergique.
Oskar était en train de lui faire miroiter un petit camp Madritsch-Schindler quelque part dans la région des Jesenik, un petit havre industriel, bien à l’écart de tout.
Madritsch comprenait que ce serait la solution idéale, mais il tergiversait. Bien sûr, la guerre était perdue, mais le système mis en place par les SS devenait encore plus implacable. Oskar avait évidemment raison de penser que les prisonniers de Plaszow finiraient dans les chambres à gaz, mais quelle que fût sa détermination, il fallait aussi compter sur celle du quartier général SS et de ses exécutants, les commandants des camps de concentration.
Toutefois, il ne dit pas non. Il lui fallait réfléchir. Peut-être, sans le dire à Oskar, éprouvait-il quelque réticence à se lancer dans une aventure industrielle conjointe avec un comparse aussi impétueux que Herr Schindler.
Oskar reprit la route sans avoir pu obtenir une réponse claire de Madritsch. Il se rendit à Berlin et invita à dîner le colonel Erich Lange.
— Je peux, sans aucun problème, reconstituer mon usine d’obus, dit Oskar. Le transfert des machines ne pose aucune difficulté.
Lange fut parfait. Il pouvait garantir les contrats. Il appuierait totalement les requêtes d’Oskar auprès des services du redéploiement et des services administratifs allemands de Moravie.
Lange, dira plus tard Oskar, était un officier qui agissait dans l’ombre. Il lui avait fourni son appui en toute occasion. C’était un homme à principes. Son sens du devoir l’obligeait à travailler à l’intérieur d’un système qu’il méprisait. Et son sens moral lui dictait d’avaliser des choses qui allaient parfois contre le système.
— Ça peut se faire, dit Lange. Mais il faudra de l’argent. Pas pour moi. Pour les autres.
Lange présenta Oskar à un officier des services du redéploiement de l’OKH, rue Bendler. Le déménagement envisagé ne présentait pas d’obstacle majeur. Mais il y avait un problème. Le Gauleiter de Moravie, qui faisait la pluie et le beau temps depuis son château de Libérée, n’avait jamais toléré des camps de travailleurs juifs dans sa province. Ni les SS, ni l’Inspection des armements n’avaient encore réussi à le faire revenir sur cette décision. Peut-être un certain Sussmuth, ingénieur de la Wehrmacht qui travaillait pour l’Inspection des armements dans les bureaux de Troppau, pourrait donner un coup de main. Oskar pourrait également voir avec Sussmuth quels sites pourraient se révéler propices en Moravie. Mais Herr Schindler pouvait compter sur le soutien des services du redéploiement…
— Mais vous devez bien comprendre qu’ils sont harassés, qu’ils subissent en ce moment des restrictions pénibles, et qu’ils seraient d’autant plus prompts à donner leur réponse si l’on faisait un geste. Les pauvres habitants des villes que nous sommes n’arrivent plus à se procurer des jambons, des liqueurs, des cigares, des vêtements, du café, enfin, vous voyez bien…
L’officier devait penser qu’Oskar disposait des réserves de la moitié de la Pologne. En fait, il dut acheter au prix fort, dans les boutiques du marché noir de Berlin, les victuailles du paquet-cadeau destiné au gentleman des services du redéploiement. Un vieux portier de l’hôtel Adlon pouvait fournir à Herr Schindler un excellent schnaps au prix imbattable de quatre-vingts Reichsmark la bouteille. Et envoyer moins de douze bouteilles à l’officier du redéploiement pourrait paraître mesquin. Le café et les havanes atteignaient des prix démentiels. Oskar n’en acheta pas moins une bonne quantité. Et si l’excellent gentleman devait circonvenir le gouverneur de Moravie, il lui faudrait prendre des forces. Un jambon aiderait, peut-être.
Pendant qu’Oskar poursuivait ses négociations, Amon Goeth fut arrêté.
Quelqu’un avait dû le dénoncer. Un officier subalterne jaloux, peut-être. Ou encore un citoyen dont le sens civique avait été choqué par l’atmosphère de débauche qui régnait dans la villa. Un officier supérieur SS nommé Eckert fut chargé d’enquêter sur les combines financières
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