La Liste De Schindler
« Je suis un voleur de pommes de terre », accrochée au cou.
Pour Henigman, tout cela n’était que broutilles. « Comment pourrait-on décrire ce qui nous arrivait ? dira-t-il. On venait de quitter l’enfer. On se retrouvait au paradis. »
Quand Oskar le vit pour la première fois, il lui déclara amicalement :
— Refaites-vous d’abord une santé. Quand vous serez d’aplomb pour travailler, vous le direz aux superviseurs.
Henigman n’en revenait pas. Il se trouvait brusquement sur une autre planète.
Trente personnes sur dix mille, ce n’était évidemment pas beaucoup. Mais nous n’avons jamais voulu présenter Oskar sous les traits d’un dieu tout-puissant des opérations de sauvetage. Retenons simplement qu’il en a sauvé bien d’autres, comme Pfefferberg ou Helena Hirsch, qu’il a tenté de sauver le Dr Léon Gross et Olek Rosner, qu’il a fait avec la Gestapo de Moravie des marchandages dont on ne sait pas le prix, mais qui ont dû lui coûter une fortune.
Benjamin Wrozlawski, un prisonnier du camp de Gliwice, fut l’objet d’un de ces marchandages. Gliwice se trouvait dans une région soumise à la juridiction d’Auschwitz. Quand Koniev et Joukov lancèrent leur offensive du 12 janvier, tous les camps de la région d’Auschwitz durent être évacués. Les prisonniers de Gliwice furent placés dans des trains en direction de Fernwald. C’est au cours de ce transfert que Wrozlawski et un de ses amis, Roman Wilner, réussirent à sauter du convoi en marche. Un des rares moyens de s’échapper consistait à desceller une bouche d’aération et à se hisser sur le toit des wagons. Mais la plupart du temps, les gardes juchés aux deux extrémités du train tiraient sur les candidats à la belle.
Wilner, bien que blessé, parvint à s’échapper et traversa la frontière de Moravie avec son compagnon avant d’être repris à Troppau par les hommes de la Gestapo.
Après qu’ils eurent été fouillés et placés en détention, un gestapiste entra dans leur cellule pour leur annoncer qu’on ne leur ferait aucun mal. Ils n’avaient évidemment aucune raison de le croire. L’officier ajouta qu’il n’allait pas envoyer Wilner à l’hôpital malgré sa blessure, car celui-ci serait immédiatement happé à nouveau dans les rouages du système.
Les deux hommes restèrent environ deux semaines dans leur cellule, le temps que la Gestapo marchande avec Oskar le prix de leur transfert à Brinnlitz. Pendant tout ce temps, l’officier SS continua de leur faire savoir qu’ils étaient sous sa protection. Cette idée paraissait tellement absurde aux prisonniers que quand on les fit sortir de leur cellule, ils étaient persuadés qu’on allait les fusiller. Eh bien non ! Un SS les prit en charge et les accompagna dans un train en direction de Brno.
L’arrivée à Brinnlitz leur parut tenir de la magie. Exactement ce que Henigman avait ressenti. Wilner se retrouva dans le dispensaire sous la supervision de quatre médecins, les Drs Handler, Lewkowicz, Hilfstein et Biberstein. Quant à Wrozlawski, on le plaça dans un mini-dortoir pour convalescents établi dans un coin des ateliers. Herr Direktor allait souvent s’informer de leur santé. Tout cela semblait si irréel que Wrozlawski ne pouvait s’empêcher de broyer du noir. « Le dispensaire, jusqu’ici, c’était la première marche du gibet, dira-t-il plus tard. Alors, bien sûr, je me posais des questions. » On le nourrissait de porridge. Schindler venait lui rendre visite fréquemment. Il ne parvenait toujours pas à comprendre.
Les bonnes manières d’Oskar avec la Gestapo locale lui avaient permis d’augmenter de onze fugitifs son contingent de prisonniers. Ces onze-là auraient dû être fusillés.
Tel-Aviv, 1963. Le Dr Steinberg témoigne à son tour. Il était médecin dans un des petits camps de travail situés aux confins de la Moravie. Au fur et à mesure que la Silésie tombait aux mains des Russes, il devenait difficile pour les SS d’exercer un contrôle direct sur tous les camps annexes. Dans le camp de Steinberg qui comprenait environ quatre cents prisonniers, on fabriquait des pièces d’avion pour la Luftwaffe. La nourriture y était rare, le travail exténuant.
Ayant entendu parler de Brinnlitz, Steinberg parvint à obtenir un laissez-passer et un camion de l’usine pour s’y rendre. Il décrivit à Oskar les conditions lamentables qui prévalaient dans le camp de la Luftwaffe. Herr Direktor
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