La Liste De Schindler
Zwittau. Oskar raconte qu’un ami lui téléphona du dépôt ferroviaire pour lui signaler des grattements, des gémissements et des appels en provenance de deux wagons. Ces appels étaient lancés en autant de langues qu’il y avait de nationalités à bord : Slovènes, Polonais, Tchèques, Allemands, Français, Hongrois, Hollandais et Serbes. Oskar dit à son correspondant (sans doute son beau-frère) d’envoyer les wagons à Brinnlitz.
D’après Stern, il faisait – 30 °C ce matin-là. Selon Biberstein, toujours soucieux de précision, il faisait au moins – 20 °C. Poldek Pfefferberg dut quitter précipitamment sa paillasse, armé d’une torche à acétylène, pour débloquer les portes coincées par le gel.
Il est difficile de décrire ce qu’il aperçut. Dans chaque wagon, les prisonniers avaient placé au centre, en pyramide, les cadavres gelés, recroquevillés. Parmi les survivants, noirs de froid et puant atrocement, aucun ne devait peser plus de trente-cinq kilogrammes.
Oskar s’activait dans les ateliers pour préparer un coin susceptible d’accueillir ces gens. Les prisonniers démontaient les dernières machines obsolètes de Hoffman pour faire de la place. On étalait la paille. Schindler était déjà allé voir Liepold pour l’avertir de l’arrivée des gens de Goleszow dont l’Untersturmführer, pas plus que les commandants des autres camps, ne voulait entendre parler.
— Vous n’allez tout de même pas me dire que ces gens sont des ouvriers qualifiés en matière d’armement ! fulminait-il.
Oskar reconnaissait la validité de ce point de vue, mais il se proposait de les inscrire quand même sur les registres et de verser six Reichsmark par jour pour chacun d’entre eux.
— Je pourrai les utiliser une fois qu’ils auront récupéré, disait-il.
Liepold était conscient des deux aspects du dilemme. Premièrement, il lui paraissait difficile de briser la détermination d’Oskar. Deuxièmement, Hassebroeck pourrait bien s’estimer satisfait de toucher des redevances supplémentaires. Liepold accepta finalement de les voir figurer sur les registres, et même d’antidater l’événement. Oskar, de cette manière, devrait payer pour des prisonniers qui n’avaient pas encore franchi les grilles de son usine.
On les enveloppa dans des couvertures et on les allongea sur la paille. Emilie arriva avec deux prisonniers portant un énorme baquet de porridge. Les médecins commencèrent à appliquer des pommades sur les membres gelés. Le Dr Biberstein avait dit à Oskar que ces gens avaient un besoin urgent de vitamines, mais il doutait qu’on puisse encore en trouver où que ce soit en Moravie.
On avait transporté les seize cadavres dans un abri. En contemplant les membres recroquevillés, le rabbin Levartov jugea qu’il serait difficile de les enterrer à la manière orthodoxe : celle-ci n’autorisait pas la rupture des os. Il faudrait de toute façon discuter du problème avec le commandant, qui voudrait sans doute s’en tenir aux directives de la section D recommandant l’incinération des corps. Les chaudières de Brinnlitz étaient d’ailleurs assez puissantes pour qu’un cadavre se volatilise en quelques minutes. Mais, par deux fois déjà, Schindler avait refusé cette méthode.
La première fois, ce fut à l’occasion du décès de Janka Feigenbaum, morte dans le dispensaire quelque temps auparavant. Liepold avait immédiatement donné l’ordre de brûler le cadavre. Oskar savait par Stern que cette façon de se débarrasser des morts était considérée comme sacrilège aussi bien par les Feigenbaum que par le rabbin Levartov. Peut-être lui aussi, par un vieux reste de catholicisme, trouvait-il ce procédé barbare puisque l’Eglise catholique, à cette époque, condamnait l’incinération. Oskar avait non seulement refusé à Liepold l’utilisation des chaudières, mais il avait demandé aux charpentiers de faire un cercueil, et c’est lui qui avait fourni le cheval et la charrette pour permettre à Levartov et à la famille d’aller enterrer la jeune fille dans les bois.
Le père et le frère de Janka marchaient derrière la charrette, comptant soigneusement leurs pas pour bien repérer la tombe afin d’aller récupérer le corps une fois la guerre terminée.
Quand la vieille Mme Hofstatter mourut à son tour, Liepold fit valoir à nouveau les directives de la section D. Oskar n’en tint aucun compte et, à la requête de Stern, fit
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